Les Chroniques de Livaï ~ Tome 2 [+13]

L'ENDROIT QUI EST CHEZ MOI(juin 844)Hanji Zoe

J'aide Moblit à redescendre le bureau au rez-de-chaussée. Le dernier déluge qui a fait des ravages dans nos rangs en a fait aussi dans les Murs apparemment. Il devait y avoir une fuite quelque part dans la pièce et c'était tout inondé quand nous sommes revenus. Mes précieuses recherches sur les titans ! Heureusement, on a vite déménagé le matériel avant que tout soit fichu. Mes outils de travail valent cher, ça ferait un trou monumental dans les finances du bataillon s'il fallait les renouveler.

Maintenant que c'est propre et sec en dessous, je retourne à mes pénates. Pas fâchée, je préfère le plancher des vaches pour travailler. On m'avait collée sous les combles de la forteresse, comme une souillon. Saletés d'experts en météo, j'aurai leur peau !

En ce moment, je travaille sur un nouveau produit qui pourrait me permettre de capturer un titan facilement, ou du moins de l'approcher pour pouvoir l'examiner. Comme ils disparaissent au bout de quelques minutes, c'est en les gardant vivants que je peux espérer faire avancer nos connaissances. On a ramené d'une des dernières expéditions une plante bizarre qui a la propriété de faire ronfler mes rats de labo. J'ai en extrait les composés de façon rudimentaire, mais le problème reste la quantité. Si quelques gouttes suffisent à endormir un rongeur, il en faudrait combien pour un titan de, disons, quelques mètres ? Dur à déterminer...

Moblit me rappelle tout le temps que Shadis approuvera jamais mon projet de capture, et je le sais. Je lui rétorque que c'est pas pour les capturer mais les endormir, nuance. Et au lieu de râler, il ferait mieux de m'aider. Je pourrais tester le produit que j'ai obtenu sur un cheval ou une vache, histoire de voir si ça marche avec des animaux plus gros... Ca pourrait tuer si c'est mal dosé... Hmm, et sur Moblit, ça donnerait quoi ? Il me suffirait de lui piquer le cul, juste pour voir si... Non, Hanji, oublie ça, si je perds Moblit, je vais vraiment me retrouver toute seule.

Ca me désole de voir que mes recherches intéressent si peu de gens. Même si Shadis a pas fermé ma branche de prédilection, je sais bien que ça lui ferait ni chaud ni froid. Il me laisse faire parce que je suis un bon chef et un bon soldat par ailleurs. Ce qui intéresse en premier les contribuables, c'est trouver un moyen efficace de les affronter et de les tuer. Aucun ne pense au fait que mes recherches pourraient faciliter tout ça... Mais l'étude de la biologie de nos ennemis est quasiment impossible ; j'en suis réduite à devoir les regarder de loin et à faire des relevés sur leurs comportements. Mais ça me dit pas comment ils sont faits à l'intérieur.

Moblit pose le bureau exactement à sa place initiale et déjà je me sens de nouveau chez moi ! C'est bien d'avoir un petit coin à soi quelque part dans ce petit monde clos ! Mon bureau est minuscule et les murs parsemés de rayonnages pleins à craquer, mais je m'y sens bien ! Il m'arrive d'y pioncer le plus souvent, bercée par l'odeur du formol et le son des alambics au boulot. Ou bien je gratte du papier. A moi seule, je dois comptabiliser plus de rapports écrits que des tas de majors du bataillon ! Et pourtant, rien de vraiment concret n'est encore ressorti, je reste au stade des suppositions...

Je vais aller prendre l'air maintenant que tout est redevenu normal. Moblit a quartier libre et je le renvoie. Pourquoi pas aller boire un verre au réfectoire ? Il y aura peut-être une tête connue pour me tenir compagnie !

Une fois sur place, je constate surtout la présence de recrues ; pas de vétérans en vue. Pas grave, si je bois, ça les fera venir. Le bataillon n'a en général le droit qu'à un vin clairet qui a plus le goût de l'eau qu'autre chose. Je m'en contenterai ; après la douche qu'on a connue - inhabituelle en cette période de l'année -, je crois que j'ai eu ma dose de flotte.

Et voilà que Livaï fait son entrée. Avant il en aurait fait des tonnes pour que tout le monde veille à lui foutre la paix, mais depuis le retour, sa réserve est d'une autre nature. Il tient pas à se faire remarquer. Faut dire qu'il a été pas mal harcelé ces jours-ci... Je me fais petite, moi aussi.

Comme il n'a pas été affecté officiellement à une autre escouade, il est toujours sur le marché pour ainsi dire. Et tous les chefs d'équipe ont essayé de le recruter. Vraiment, je crois que y'en a pas un qui a pas tenté sa chance. Tous recalés, sans surprise. Même moi j'ai tenté le coup, c'est dire ! Il m'a envoyée bouler sans ménagement, ce grincheux ! Il aura pas fallu attendre longtemps pour que la rumeur de ses performances se répandent parmi les soldats restés ici. Maintenant, tous les gradés le veulent dans leur équipe.

Ah, maintenant que j'y pense, je crois qu'Erwin, lui, a passé son tour. Des fois, je me demande ce qu'il a dans le crâne. Il a peut-être peur de se faire lourder.

Livaï va s'accouder au comptoir et se met à siroter un liquide parmi d'autres. Il a vraiment l'air ailleurs, même si personne n'a eu à se plaindre d'un manque de discipline. Il a changé mais pas tant que ça. Pas en surface, je veux dire. C'est toujours la petite teigne maniaque et précieuse qu'on a appris à connaître. Il paraît qu'il a entrepris de faire le ménage de fond en comble dans le baraquement des recrues à son retour. Il a mis tout le monde dehors avec défense de rentrer tant qu'il avait pas fini. Qui sait, peut-être voulait-il effacer les dernières traces de son ami disparu pour réussir à dormir de nouveau dans cet endroit... La douleur peut prendre des formes diverses...

A la vérité, je sais même pas s'il va rester. Il a pas démissionné encore, je suppose que ça veut dire... Bon, je vais pas tenter de deviner ce qu'il pense, mon étude de sa petite personne m'a démontré que ça servait à rien. Mais s'il se décide pas à entrer de lui-même dans une équipe, Shadis le fera intégrer un groupe de force. Pas moyen qu'un talent comme le sien reste sans rien faire, et sans aucun guide pour le canaliser et l'améliorer.

Je retenterai peut-être ma chance si j'arrive à me souler avec cette piquette. Il va m'en falloir, des verres...