Chapitre 21

933 64 26
                                    

Quelques mois s'étaient écoulés depuis ce repas dans la famille d'Aurélien. Les deux rappeurs avaient continué leur routine, tranquillement, heureux de ne pas avoir à cacher leur relation à leurs amis. Ils vivaient ensemble dans une espèce de bulle de bonheur, qu'ils avaient tous les deux attendue pendant très longtemps.

Les choses n'avaient pas tellement changé, en fait. Ils étaient toujours les deux mêmes amis sur le même canapé, deux colocataires qui étaient partagés entre vie quotidienne, rap et conversations absurdes où ils refaisaient le monde ensemble.

Leur routine avait simplement intégré des étreintes, des baisers, des gestes d'affection qui peuplent la vie quotidienne des amoureux.

Aurélien était sur un petit nuage. Sa vie avait atteint une sorte d'imparfaite perfection, une vie commune avec Gringe, où chaque chose était à sa place. Il se sentait pleinement satisfait.


Ce jour-là, il revenait de faire les courses. Il n'avait pas dit à Guillaume où il allait, car il voulait lui faire la surprise – eh oui, pour lui, faire les courses avant que la seule chose qui reste à manger soit des pâtes relevait de l'exploit.

Il arrivait devant la porte de leur appartement, quand des éclats de voix venant de l'intérieur lui parvinrent.

Surpris, il hésita un instant et tendit l'oreille. Il reconnut la voix énervée de Gringe, qui se disputait avec un autre homme. Le cœur d'Orel s'accéléra. Gringe était avec un autre mec à l'appart. Pendant son absence. Avec qui il était ? Pourquoi ils s'engueulaient ? Une bouffée de jalousie monta dans la poitrine du caennais. Un million d'idées lui passèrent par la tête. Sans perdre un instant, il posa les sacs de courses par terre et colla son oreille à la porte.

- Je ne sais vraiment pas ce qu'on a pu rater dans ton éducation ! fulminait l'homme.

Orel reconnut avec stupeur la voix du père de Gringe. Au moins, ce dernier ne le trompait pas. Orel pressa un peu plus fort son oreille contre la porte.

- Après tout ce qu'on a sacrifié pour toi, ta mère et moi ! Tout ça pour qu'au final, tu gâches tout en te lançant dans une carrière de saltimbanque et en sortant avec ton... avec un... avec ce moins que rien !

- Ne parle pas d'Aurélien comme ça ! s'emporta Gringe. Tu ne sais rien de lui, tu ne t'es jamais intéressé à lui.

- Tu sais très bien ce que ta mère et moi on pense de ces choses-là ! Tu ne fais ça que pour nous provoquer, je le vois très bien. À ton âge, je pensais que j'en avais fini avec ces enfantillages !

- Ce ne sont pas des enfantillages ! cria Gringe. Je suis amoureux de lui !

- Ne me fais pas rire, ce n'est qu'une passade, tu retrouveras très vite tes esprits.

Il y eut un court silence, puis Gringe reprit d'une voix plus calme, mais pas moins inquiétante :

- C'est très loin de n'être qu'une passade. Et ce que tu dis me dégoûte. Il y a un mot, pour ça, papa. Tu es homophobe.

- Je ne suis pas homophobe ! s'écria le père. Je pense juste que tu te trompes sur tes soi-disant sentiments, tu n'es pas amoureux de lui ! Tu ne peux pas avoir de relation avec quelqu'un comme lui, et tu vas me faire le plaisir d'y mettre un terme, et de déménager !

- Non, répondit Gringe d'une voix toujours dangereusement calme. Je ne me trompe pas sur mes sentiments, et il est hors de question que j'y mette un terme parce que tu me le demandes. Si je dois vraiment faire un choix entre Orel et toi, eh bien il est déjà fait.

- Mais...

- Papa, je voudrais que tu t'en ailles, maintenant.

- Je t'interdis de me parler comme ça. Tu...

- Je n'ai plus vingt ans. Je suis un adulte, je gère ma vie comme j'en ai envie. Et tant que tu n'auras pas accepté ma relation avec Orel, ce n'est pas la peine de revenir.

La porte s'ouvrit brusquement.

Aurélien s'en éloigna précipitamment, et il se retrouva nez à nez avec Guillaume et son père. Les trois hommes s'observèrent un instant en silence.

Un éclair de tristesse passa dans le regard de Gringe quand il rencontra celui d'Aurélien, puis le basané se tourna vers son père :

- Au revoir, papa.

L'homme ne répondit rien. Après un regard de dégoût pour Aurélien et un coup d'œil furieux jeté à son fils, il descendit les escaliers et disparut de leur vue.

Orel et Gringe s'observèrent en silence.

Le regard de Guillaume se posa sur les sacs aux pieds de son acolyte.

- T'es allé faire les courses, constata-t-il.

Orel hocha la tête.

- T'as tout entendu ? demanda Gringe d'une voix un peu faible.

- Je pense que j'ai entendu le principal...

Le basané eut un sourire triste.

- Ça ne s'est pas vraiment aussi bien passé qu'avec tes parents, hein ? articula-t-il.

Sa voix tremblait un peu. Orel s'approcha et le prit dans ses bras. Gringe le serra fort contre lui, et enfouit sa tête dans son cou. Aurélien sentait son cœur battre trop rapidement contre le sien.

- J'ai toujours su que mon père était pas vraiment porté sur la tolérance de ce côté-là... murmura Gringe. Mais je pensais que si je lui disais que j'étais vraiment heureux, il ferait une exception...

- Il changera d'avis, tenta de le rassurer Orel.

- Je m'en fous, de son avis.

Il avait essayé de prendre un ton convainquant, mais il savait qu'il ne trompait personne. La main d'Orel vint doucement caresser ses cheveux.

- Je veux juste être avec toi, chuchota Gringe contre son cou.

- Tu es avec moi... Je ne te laisserai jamais.

Les lèvres de Guillaume s'étirèrent en un léger sourire. Il serra son petit homme plus fort contre lui.

C'était la seule chose qui le faisait tenir. La chose la plus importante dans sa vie, c'était lui. Ce n'était pas si difficile que ça de choisir Orel plutôt que son père. De toute façon, il ne se voyait pas vivre sans lui.

Il inspira profondément dans son cou, se régalant de son odeur.

- Merci d'avoir fait les courses.

OrelgringeOù les histoires vivent. Découvrez maintenant