Chapitre 9

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Les jours avaient passé. Ça faisait une semaine maintenant que Gringe et Orel avaient passé cet accord tacite de « On laisse les choses se faire, et on verra bien ce qu'il se passera. » Ils ne s'étaient pas embrassés de nouveau, mais ils multipliaient les marques d'affection l'un envers l'autre. Ils ne perdaient pas une occasion de se toucher, de s'effleurer, de se prendre dans les bras, de dormir ensemble. Ils vivaient dans une bulle, dans une ambigüité palpable et délicieuse, qu'ils voulaient tous les deux savourer et laisser durer.

Chaque jour les rapprochait davantage du moment où leurs dernières barrières tomberaient, et où ils pourraient se dire qu'ils étaient officiellement ensemble. Ce jour les terrifiait autant qu'il les attirait. Ils avaient envie d'y arriver, de pouvoir se dire qu'ils étaient « en couple », de pouvoir s'embrasser. Ils en avaient tous les deux autant envie l'un que l'autre, mais ils savaient aussi qu'à partir de ce moment, rien ne serait plus jamais pareil.

Et il y avait aussi le problème de leurs copines respectives. Enfin, surtout de la copine d'Orel, à présent. Gringe avait rompu avec la sienne il y avait quelques jours, sans trop d'hésitation. Ça n'avait pas été une décision très difficile à prendre. Il ne l'aimait plus, de toute façon. Ils s'étaient éloignés, ils ne communiquaient plus beaucoup, et il savait que de son côté elle avait aussi des doutes sur ses sentiments. La rupture n'avait pas été difficile. 

Par contre, de son côté, Orel avait un peu plus de mal à quitter sa copine.

Ça faisait des années qu'Ahélya et lui étaient en couple. Ils étaient amoureux, ils allaient bien ensemble, chacun le savait. Gringe lui-même le reconnaissait – et ça le mettait hors de lui. Il était jaloux de cette fille à en crever. Elle avait ce qu'il voulait par-dessus tout : l'amour d'Orel, et une relation stable et durable avec lui. Il ne pouvait même pas la détester, parce qu'elle était sympa. Elle était jolie, attentionnée et intelligente. Elle avait un passé avec Aurélien. Gringe ne voyait pas comment il pouvait rivaliser.

Orel lui avait assuré qu'il la quitterait, qu'il ne l'aimait plus, mais il avait du mal à le croire. Chaque jour de plus qu'Orel passait en couple avec elle était un supplice pour Guillaume. Il s'en rendait compte : il ne pouvait plus le partager, c'était tout. Il ne pouvait pas dormir avec lui, le prendre dans ses bras, envisager une vraie relation avec lui, s'il était toujours avec elle. C'était impossible.


Un matin, une semaine après qu'Orel ait avoué à Gringe ce qu'il ressentait, ils furent réveillés par une sonnerie de téléphone. Gringe émit un gémissement douloureux. Il voulait encore dormir. Il secoua Orel, qui ronflait tranquillement d'un air bienheureux, la tête posée sur son torse et le bras enroulé autour de sa taille.

- Orel ! Réveille-toi. C'est ton portable qui sonne.

Son ami paraissait imperturbable. Gringe soupira et tendit le bras pour prendre le téléphone. Il fronça les sourcils en voyant qui appelait. Il décrocha.

- Allô ?

- Chéri ? C'est toi ?

- Salut Ahélya, c'est Gringe.

- Ah, salut Guillaume, tu vas bien ? Pourquoi tu réponds au téléphone d'Orel ?

- Il dort encore là en fait. Qu'est-ce qu'il y a ? Tu veux que je le réveille ?

- Ah, euh non, laisse-le dormir, dit-elle d'un ton attendri qui exaspéra Gringe. C'est juste qu'on avait prévu de dîner tous les deux ce soir, et je voulais lui rappeler pour pas qu'il oublie.

- ...Ah, vous étiez censés manger ensemble ce soir ?

- Oui, ça pose un problème ?

- Euh... Non, non, c'est juste qu'il me l'avait pas dit. Mais je lui rappellerai, pas de souci, dit Gringe d'un ton faussement nonchalant.

- Super, merci. Bon, eh bien, désolée de t'avoir dérangé, passe une bonne journée !

- Merci, toi aussi. Salut.

Il raccrocha. Il était énervé. Il espérait vraiment qu'Orel avait prévu de dîner avec elle pour qu'ils discutent et qu'il la largue. C'est ce moment que l'intéressé choisit pour entrouvrir les yeux et demander d'un air endormi :

- C'était qui ?

En d'autres circonstances, Gringe l'aurait trouvé adorable, avec ses yeux à demi fermés, ses cheveux en bataille et son petit sourire tout endormi. Mais Gringe était énervé, et il répondit sèchement :

- Ahélya.

Orel se redressa brusquement.

- Elle voulait quoi ? demanda-t-il, bien réveillé maintenant.

- Elle voulait que je te rappelle votre dîner de ce soir, répondit son acolyte d'un ton glacial.

- Ah... Oui, j'avais pas oublié.

Gringe leva les yeux au ciel et son visage se rembrunit.

- Fais pas cette tête, c'est juste un dîner.

- J'espère que c'est un dîner pour lui dire que tu l'aimes beaucoup mais que les choses ont changé et que ça va pas pouvoir continuer, répliqua Gringe.

- Bah, euh... C'est-à-dire que j'avais pas vraiment prévu de... Enfin, à la base c'était juste comme ça... Pour se voir.

- Pour se voir ? Parce que t'as besoin de la voir ? Elle te manque, maintenant ?

- Mais non, mais... Enfin, un peu quand même, j'ai été avec elle pendant cinq ans, tu comprends bien que c'est pas le genre de truc qui s'en va d'un coup. Je peux pas la larguer comme ça, je veux dire, je tiens à elle, et...

- Tu tiens à elle, d'accord, et moi ? Tu tiens pas à moi ?

La voix de Gringe tremblait un peu. Il sentit sa gorge se nouer, des larmes lui montèrent aux yeux. Merde. Il se leva brusquement et sortit du lit, dos à Orel pour qu'il ne le voie pas dans cet état.

- Guillaume...

Ce n'était pas souvent, qu'il l'appelait par son vrai prénom. Gringe en déduisit qu'il avait remarqué. Il ne répondit pas, mort de honte. Orel se leva à son tour et il se plaça derrière Gringe, l'entourant de ses bras.

- Te mets pas dans des états pareils... Je suis désolé... Il me faut juste du temps, tu comprends ?

Gringe secoua la tête.

- Mais toi, tu comprends pas que ça me soule de te voir avec elle ? s'exclama-t-il en se tournant vers lui. Tu comprends pas que du temps, c'est justement ce que je peux pas te donner ? J'en peux plus de te voir avec elle, de la voir aussi amoureuse de toi, de vous entendre au téléphone avec tes « ma chérie », tes « mon cœur », tes « je t'aime », j'en peux plus de te savoir avec... avec quelqu'un d'autre que... que moi.

Orel regarda Gringe dans les yeux et se sentit fondre devant ses joues rouges et son regard triste. Il s'en voulait tellement. Il comprenait ce que ressentait Gringe, parce que lui-même aurait pété un câble s'il avait dû l'entendre donner des surnoms affectueux à sa meuf devant lui, et s'il avait dû supporter le fait qu'il était encore en couple avec quelqu'un d'autre. Mais il ne pouvait pas larguer sa copine comme ça. Il devait choisir entre faire du mal à Gringe, et faire du mal à Ahélya.

- Je suis désolé, dit-il.

Il s'approcha de lui et le prit dans ses bras. Gringe lui rendit son étreinte et le serra fort.

- Si tu me dis que ça te fait du mal, je vais la quitter, je te le promets, chuchota Orel dans son oreille.

- Aujourd'hui. Je veux que tu la quittes aujourd'hui.

Orel soupira. Il n'avait vraiment pas prévu de dîner avec elle pour lui dire ça. Mais la joue encore humide de Gringe contre sa tempe acheva de le convaincre.

- Je vais essayer. Je te promets que je vais essayer.    

OrelgringeOù les histoires vivent. Découvrez maintenant