LE FILM DE LA VIE

835 38 29
                                    


Par dessus l'épaule de Percy, le ciel s'assombrit. Le bleu d'Atlas était petit à petit remplacé par un immense nuage grisâtre qui englobait tout Manhattan.

Alors que je me tournais vers Percy, un choc vint s'abattre sur mon crâne.

Nous étions tous encore dans la voiture. Ma tête soutenue par ma main avait glissé et s'était échoué sur la portière en métal du fourgon.

C'était bel et bien un rêve, une chimère. Ce baiser n'avait pas eu lieu et, n'avait fait que confirmer la douleur et la puissance des sentiments que j'éprouvais pour Percy Jackson.  J'avais l'impression qu'on jouait au jeu du chat et de la souris. Et ... dans cette histoire je ne savais plus lequel des deux j'étais.  Nous étions comme prisonniers dans un pas de deux surréaliste qui mêlait crainte et passion. La vérité c'est que j'étais dans une impasse. Ou je me jette à l'eau en avouant les sentiments que j'éprouve à l'égard de Percy à ce dernier et je m'expose à 1) un rejet pur et simple qui me briserait le cœur à coup sûr 2) la destruction définitive de l'amitié que j'affectionne plus que tout ou je garde pour moi ces sentiments destructeurs afin qu'ils me détruisent et me consument de l'intérieur. Janus faisait en sorte que je crois avoir le choix, alors qu'il n'en était rien.

Je hais la déesse de l'amour. ( Oui Aphrodite, on parle de toi. )

Le nombre de promesses et de sous-entendus à peine voilés faits par notre groupe d'amis n'était même pas envisageable. Tous semblaient persuadés que nous étions faits l'un pour l'autre mais ... qu'est-ce-que ça voulait dire au juste ... Faits l'un pour l'autre ...? Une formule cucu-praline inventée par des gens qui se plaisent à vivre dans une utopie ?Parce que la réalité est là ... Croire au mythe de l'âme sœur c'est admettre le concept de providence.  Croire que quelqu'un quelque part nous est destiné depuis notre naissance et bien avant ne serait-ce pas admettre que notre destinée est toute tracée et que le chemin que l'on suit ne subit aucune modifications ? Qu'il restera ainsi  ... pour l'éternité ?


A ce moment précis, j'étais prête à lui avouer. A ce moment précis j'étais prête à lui avouer cette foutus sentiments qui me rongeaient de l'intérieur. A ce moment là, j'étais prête à endosser les conséquences et la responsabilité que me mots auraient sur ma vie en cas de rejet, comme en cas de déclaration.

Alors que j'étais en train d'évaluer mentalement les statistiques et les probabilités, un immense voile noir s'est levé devant mes yeux. Je ne voyais plus rien. Mes oreilles semblaient bouchées par de la cire et, bien que mes yeux ne soient ouverts, je ne distinguai rien d'autre que cet immense tourbillon de noirceur. Il semblait me happer au plus profond de mon âme. Capter les sépulcres de mes plus intimes tourments. Tout était flou et noir. Tout était rude et froid. J'avais l'impression de me retrouver dans le Cocyte. La tristesse émanait de ma peau, de mon âme. Et mes dieux que c'était douloureux. Des centaines de lames me transperçaient de partout. Il y eut un flash. Je vis un ciel noir dénué d'étoiles, une balançoire branlante qui se balançaient en avant en arrière à n'en plus finir. Je voyais une ombre se faufiler dans les moindres recoins de noirceur et s'emparer des malheureux que la culpabilité étreint.

Et durant ce temps, mon corps était parsemé de frissons. Je ne sentais plus ni mon corps, ni mon cœur. La main sur ma poitrine, je palpais cet espace où je devrais normalement sentir un battement, et qui était à présent creux et silencieux. Je me sentais partir. Mon corps se changeait en iceberg, mon âme en fantôme distant. Un spectre condamné à regarder la pièce de sa vie.

Ce n'était plus moi qui était aux commandes de mon propre cœur. A vrai dire il n'y avait plus de moi. Il n'y avait plus d'Annabeth Chase. Il n'y avait plus de fille d'Athéna. Il n'y avait plus de Puit de Sagesse.
Toute cette connaissance que j'avais dûment acquise au prix de nombreuses lectures partait petit à petit en fumée. Et je regardais peu à peu mon corps se vider de toute mon existence. Je le voyais effacer mes souvenirs les plus  intimes, mes promesses les plus naïves ... mes secrets les plus inavoués.

Je voyais Luke, Thalia, Grover, Chiron, ma divine mère, mon père absent. Je voyais le passé.

Je voyais mon entrée à la fac, un appartement dans une ville qui ressemblait à ... Rome ? Je voyais mon mariage avec lui, une naissance, je voyais un voyage et une autre naissance. Je voyais une maison, je voyais des rires, des pleurs, des hurlements. J'entendais des verres qui s'entrechoquent, le roulement des vagues sur le sable brûlant, je voyais la Grèce et les dieux.

Je voyais l'avenir.

Et puis vint la dernière image de ce film sur mon existence, cette pièce où se déroule ma vie.

Je voyais Percy.

Je voyais le présent.

J'avais beau essayé de l'atteindre, il restait hors de ma portée. Et c'est à ce moment là que j'ai compris, alors que sur l'image se rejouait le film de ma vie passée, présente et future qu'il n'y aurait pas de futur justement. Parce que Percy était mon présent, mais que je n'étais plus là pour le vivre.

C'est alors que j'ai tourné la tête et que j'ai vu un autre film de vie.

J'ai vu Percy. Je l'ai vu marcher pour la première fois, je l'ai vu sourire, rire, manger, nager. Je l'ai vu serrer sa mère dans ses bras, je l'ai vu pleurer un skateboard cassé, je l'ai vu se faire frapper par Gaby Pue Grave, je l'ai vu rencontrer Grover, arriver à la colonie, je l'ai vu me rencontrer, me combattre. Je nous ai vu partir en quête une fois, deux fois, je l'ai vu désespéré lorsque j'ai disparu, je l'ai vu me sauver la vie.

Je l'ai vu tomber amoureux de moi.

J'ai vu le passé.

Je l'ai vu me regarder dormir dans le fourgon noir. J'ai vu le présent.

Et puis la fin, je l'ai vu affalé sur ma dépouille, je l'ai vu pleurer, crier, hurler de douleur, je l'ai vu balancer des trucs à travers des fenêtres, j'ai vu sa tristesse. Mais ... ensuite ...je l'ai vu sourire, rire. Je l'ai vu entrer à la fac, je l'ai vu rencontrer une fille, je les ai vu s'embrasser, je les ai vu se marier, je les ai vu parents, je les ai vu amants, je les ai vus s'unir jusqu'à ce   que la mort les sépare et j'ai vu la mort les séparer.

Je l'ai vu m'oublier. J'ai vu l'avenir.


Et ça m'a semblé juste. J'ai su que c'était le bon choix. J'ai su qu'il serait heureux alors je l'ai été pour lui.


Je voulais construire quelque chose qui durerait mille ans et j'ai réussi. Je serais éternellement amoureuse de Percy Jackson. A la vie à la mort c'est ce qu'on dit. Et même si dans ce cas là, c'était plus dans la mort que dans la vie je me le suis promis. Je l'aimerais jusqu'à la fin des temps et des hommes. Je l'aimerais lorsque la terre aura disparu, lorsque les dieux seront oubliés ...


Je l'aimerais, même si c'est la dernière chose que je dois accomplir avant de trouver la paix.

Je le jure sur le Styx.  

Pardonne-moi...Où les histoires vivent. Découvrez maintenant