"Ni violée, ni battue, j'en ai quand même été victime"

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Article écrit le 27 novembre 2012, dans l'Obs Le Plus.

Je voudrais raconter ici ce sur quoi je n'avais jamais mis de mots jusqu'à présent.

La parole se libère (enfin !), semble-t-il, contre les violences faites aux femmes et avec des thèmes et des arguments justes. Reste que, quand on est soi-même victime, on n'en a pas forcément conscience sur le coup et que l'on met des mois, voire des années, à réaliser. Il y a sans doute autant de violences subies que de femmes et d'hommes.

J'ai enduré la violence d'un homme

Je n'ai pas été violée comme on le voit dans les films – une agression violente d'un inconnu. Je n'ai pas été une de ces femmes portant des lunettes noires pour masquer les stigmates des coups de son mec. Mais, en dehors de ces schémas de représentation, j'ai enduré la violence d'un homme.

J'écris aujourd'hui parce qu'il y a quelques jours je suis retombée sur une conversation e-mail avec un ami. C'était il y a quatre ans et demi. Je lui écrivais:

"Ce mec est bluffant, du genre à me lire avec passion le prologue d''Ainsi parlait Zarathoustra' à 4 heures du mat'."

Je venais de rencontrer D. et je mesure aujourd'hui mon aveuglement. Dans la conversation, aujourd'hui, rapidement, je dirais aujourd'hui de lui que c'était un manipulateur, pervers, impuissant et défoncé et que je l'imagine bien avoir pourri dans un caniveau après une énième murge.

Mais ces mots cachent une réalité autrement plus douloureuse que leur apparent dégagement. D. était un lecteur du blog que je tenais alors et nous avions eu de nombreux échanges passionnants. Persuadée (comme je le suis toujours) que l'on gagne beaucoup à rencontrer "IRL" les gens connus par le truchement du web, j'ai accepté le verre qu'il me proposait.

Dans ma tête, les choses me semblent aujourd'hui avoir été très vite et j'ai un peu perdu la notion du temps. Rapidement, D. emménageait chez moi, amenant avec lui des monceaux de cartons qui ont fait sensiblement rétrécir mon studio, ainsi que son ordinateur, qui a pris la place du mien (parce que portable), son chat et ses habitudes...

Les humiliations et contraintes ont commencé

D. ayant pris le pli de ne se coucher qu'à l'aube et de se lever vers 16 heures, j'ai dû calquer mes horaires sur les siens afin d'avoir un semblant de ce que j'espérais alors encore pouvoir être une vie de couple. Petite dormeuse, j'étais toujours debout avant lui, subissant ses accès de colère si le bruit de mon petit-déjeuner venait à le réveiller. Je me revois bricolant une petite collation dans la salle de bain pour ne pas le déranger... Je me revois affronter son incompréhension quand je cédais à des accès de fatigue vers 1 heure du matin.

Les humiliations et les contraintes ont commencé. Culturelles, d'abord: tout ce que j'écoutais, les films ou les livres que j'aimais, a commencé à n'avoir plus aucune grâce à ses yeux. Futile, ridicule, mauvais. Il s'est emparé de tous les écrans possibles de l'appartement pour m'imposer son "bon goût", pour m'"apprendre"...

Puis des attaques malines, me faisant douter de ma famille, de mes amis. Des remises en cause de ma manière d'être, de mes névroses, de mes peurs.

Petit à petit, D. a investi mon espace, physique et psychologique. Et j'acceptais... J'acceptais de ne plus voir mes amis, de renoncer à mes goûts pour me plier au siens. J'acceptais ses crises. J'essayais de vivre avec cette privation de sommeil. J'essayais de comprendre son addiction à l'alcool et au cannabis, allant jusqu'à lui acheter sa bière et son whisky pour être sure qu'il n'explose pas en état de manque.

Je n'ai jamais bu – ça ne me réussit pas –, il me le reprochait, parce que, selon lui, nous ne pouvions pas trouver d'osmose au lit sans une réunion des esprits due à l'ivresse. Je ne me suis pas mise à boire, c'est sans doute l'un des facteurs qui m'a sauvée.

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