"Pourquoi il est si difficile de sortir de la prostitution ?"

98 5 4
                                    

Article écrit en juin 2017, dans Révolution Féministe.

On me demande parfois pourquoi il est si difficile de sortir de la prostitution.  Cela m’a pris des années pour en sortir, j’y suis retournée plusieurs fois, et je ne suis pas la seule. Ce qui rend la sortie si dure est la complexité de la situation. Quand je suis allée voir un service de conseil pour les personnes prostituées afin de demander de l’aide pour en sortir, on m’a dit: «si vous ne voulez plus faire ça, vous n’avez qu’à ne plus retourner au bordel !» Mais ce n’est pas aussi simple que ça.

La plupart des prostituées ont eu de très mauvaises expériences avec toutes les formes d’autorité ou d’institutions officielles. En fait, ces institutions pourraient bien être la raison pour laquelle ces femmes ont commencé à se prostituer. Celles qui, comme moi, ont appris combien c’est facile de passer entre les mailles du filet de la protection sociale en Allemagne et de notre système de sécurité sociale, savent où il ne faut pas aller si l’on veut de l’aide. Dans mon cas, les services de l’enfance ont prétendu que je m’étais enfuie de chez moi non à cause des violences que je subissais mais simplement parce que l’on ne m’avait pas donné «assez d’argent de poche».

L’aide que j’ai reçue dans un refuge pour filles, je ne l’ai obtenue que grâce aux efforts de travailleurs sociaux dévoués, et elle s’est terminée beaucoup trop tôt. Quand vous atteignez l’âge de 18ans, cette aide s’arrête. Personne n’a pris en considération que se retrouver sans aucune aide, c’est une situation très grave pour une jeune adulte très traumatisée qui n’a plus de contact avec ses parents, aucun soutien, et qui n’a pas le sou. Au refuge pour filles, il y avait une fille qui était arrivée là parce que son père la violait régulièrement.

Les services de l’enfance l’ont contrainte à s’asseoir face à son père et à discuter avec lui, il s’agissait d’organiser une confrontation entre eux afin qu’ils puissent «s’expliquer».  Le père a tout reconnu, il s’est excusé et les services de l’enfance ont décidé: «voilà, il s’est excusé, il ne recommencera plus, vous pouvez rentrer à la maison maintenant.» Je suis sûre que cette fille ne s’adressera plus jamais à une institution officielle si elle a besoin d’aide.

Toutes ces administrations, la sécurité sociale, les services de prêts aux étudiants, les bureaux «Pôle emploi» et d’indemnisation du chômage, les services d’aide au logement, c’est du pareil au même: «ça n’est pas de notre ressort», des délais interminables pour traiter les dossiers, des remarques stupides. Au service d’aide aux étudiants, on m’a dit: «si vos parents ne veulent pas signer le dossier de candidature, vous devez avoir fait quelque chose de mal. C’est habituellement la faute des enfants. Est-ce que vous avez songé à vous excuser ?».

Au service du logement: «Nous traitons votre dossier depuis presque un an, on vous tiendra au courant. Qu’est-ce que vous dites ? Vous ne pouvez plus payer votre loyer ? Alors, si vous n’avez plus d’appartement, vous n’avez plus droit à une allocation logement, et nous arrêtons de traiter votre dossier.» Je connais des prostituées qui veulent en sortir mais les services du chômage refusent de leur accorder une aide financière et menacent de leur infliger une suspension de paiements de trois mois si elles mettent fin à leur «contrat» avec le bordel, parce qu’elles ont un travail après tout.

D’autres qui essaient d’en sortir ne reçoivent pas non plus la totalité des aides auxquelles elles ont droit parce que ces services présument qu’elles continuent à se prostituer secrètement, et ont donc un revenu—une somme totalement imaginaire, basée sur des fantasmes, qui est ensuite déduite des paiements. Celles qui échouent dans la prostitution ou y restent bloquées à cause de ces problèmes n’y sont pas suite à un «choix libre» mais suite à un choix entre deux options pareillement indésirables (mourir de faim et devenir SDF ou se prostituer).

Les sujets tabousOù les histoires vivent. Découvrez maintenant