Article écrit le 13 août 2013, dans Slate.
Angie Epifano, la femme violée à l’automne dernier dans un dortoir d’Amherst, a raconté qu’elle entendait ses amis s’amuser dans la pièce d’à côté pendant qu’elle subissait son calvaire. J’ai récemment raconté ça à une de mes amies, qui s’est étonnée qu’Angie n’ait pas tapé sur le mur ou appelé au secours. À première vue, cette question peut sembler légitime, jusqu’à ce qu’on se fasse la réflexion qu’elle est bien moins courante lorsqu’il s’agit de femmes battues ou kidnappées, et pratiquement jamais posée en cas de vol ou d’agression.
La plupart des gens considèrent que lorsqu’on se fait agresser par exemple, donner calmement au voleur ce qu’il réclame tout en restant aux abois est un signe d’intelligence et de sang-froid, à l’image de l’attitude qu’il nous est conseillé d’adopter lorsqu’on se retrouve face à un chien agressif. Une des premières choses que l’on vous enseigne dans un cours sur la manière de réagir face à un violeur est de ne pas vous débattre ou de faire un esclandre, parce que cela pourrait vous coûter la vie.
Je ne me suis jamais battue
Moi non plus je n’ai pas crié et je ne me suis pas débattue lorsqu’à 55 ans, j’ai été violée dans mon propre lit. Les raisons étaient à la fois logiques et illogiques, historiques, complexes et puis aussi réfléchies. Il avait un couteau et j’ai compris que c’était le violeur en série qui, depuis huit mois, entrait par effraction chez des femmes dans ma ville mexicaine. J’avais entendu parler des quatre femmes qu’il avait violées avant moi. Les deux premières s’étaient débattues et avaient été frappées, les deux suivantes, ayant eu connaissance de ce qui était arrivé aux autres, n’avaient pas résisté et avaient évité les yeux au beurre noir et les côtes abîmées.
Même si l’homme qui m’a violée n’avait pas eu de couteau et que je n’avais rien su de ses autres agressions, je suis à 99,9% certaine que je ne me serais pas débattue. Je ne me suis jamais battue physiquement de ma vie, je n’ai aucune expérience en arts martiaux, et je ne me considère pas assez forte pour repousser un homme. Et puis il y avait cette abominable sensation d’inéluctabilité, de pire cauchemar qui se réalise, une acceptation: voilà, je vais être violée. Pourtant, je n’ai pas tenté de le dissuader. «Espèce de malade,» lui ai-je dis, en répétant les mots qu’il avait lui-même employé avec ses autres victimes dans une version perverse d’intimité post-viol, moment pendant lequel il avait tenté de susciter une empathie en disant à quel point il était malade.
«Tu parles trop» m’a-t-il aboyé à la figure, avant d’imiter un enfant qui couine: «Na na na na.»
Une supplique dans votre coeur
Ce sarcasme n’a pas réussi à me mettre en colère. Je n’en ressentais pas—ou peut-être n’étais-je pas en connexion avec ma colère. J’étais trop terrifiée, mon cœur bourdonnait comme un champ d’abeilles, chacun de mes organes était envahi d’adrénaline, ma peau vibrait. Peut-être les femmes qui répondent physiquement au danger possèdent-elles un instinct de combattante, une force physique, ou bien leur a-t-on appris à se défendre. Une de mes amies s’est un jour retrouvée seule à bord d’un bateau avec un homme qui tenta de la violer une fois au large. Elle lui envoya un coup de pied, sauta par-dessus bord et nagea plus d’un kilomètre et demi avant de se retrouver en lieu sûr. Il n’y a pas longtemps, à Brooklyn, je traversais la route à un feu avec cette même amie et une voiture nous a coupé la route. Elle a donné un coup de poing sur l’aile du véhicule en hurlant «connard!» J’ai admiré sa réaction. Ma réaction à moi avait été de penser que j’avais traversé au mauvais moment.
Nous sommes tous différents; toutefois, toutes les femmes que je connais, à partir du moment où elles comprennent que cela peut arriver, redoutent de se faire violer. La plupart d’entre nous, lorsque nous traversons une maison, un immeuble, un parking obscurs ou une rue déserte, avons peur des ombres, du sadique détraqué qui guette, traque, complote pour se donner du plaisir avec le sentiment de puissance violent qu’il ressentira en nous humiliant et en soumettant notre volonté à la sienne.
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Les sujets tabous
DiversosCe que j'aime ? Le mystère. Ce qui m'insupporte ? Ne pas avoir de réponses. Le but de ce recueil ? Que les sujets tabous soient dévoilés. Qu'espères-tu ? Que les gens puissent apprendre de nouvelles choses et aussi faire tourner les informations hah...