Chapitre 9

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Je laissai tomber la feuille, la tête prise d'un soudain vertige. Le poids qui pesait autrefois lourd sur mes épaules sembla se décupler. Mais à présent, j'avais un but, et mon but était de trouver la Société. Sauf que je ne voyais aucun moyen d'y parvenir sans l'aide de quelqu'un qui connaissait suffisamment bien la géographie du pays. La Société, ce terme faisait germer dans mon esprit l'idée d'une communauté obscure, et cette idée, avec du recul, m'apparaissait plus comme un lointain souvenir que comme le fruit de mon imagination.

Je quittai la sérénité de ma chambre, habillée d'une fine robe de soie bleue clair dont le tissu d'une légèreté féerique bruissait faiblement contre mes cuisses. Je pris des escaliers plongés dans la pénombre, que personne ne semblait remarquer et me faufilai dans l'obscurité des couloirs, prenant la direction de la bibliothèque.

Je n'avais jamais mis les pieds dans la bibliothèque du manoir, cette dernière, mal située, était souvent ignorée ou alors oubliée. Cependant, je ressentais une certaine appréhension liée au fait de franchir les portes de cette pièce dont la moitié était baignée dans une noirceur presque totale.

Je poussai le battant de la porte qui s'ouvrit en grinçant et risquai un coup d'œil à l'intérieur. Je ressentais au plus profond de mon âme que le temps pressait, et que, plus vite je trouverai ce que je cherchais, mieux cela serait. Car, tout comme moi, de mon côté, je me préparais à une bataille inévitable, mon ennemie devait, de son coté à elle, en faire tout autant.

Je fis surprise, en m'avançant à l'intérieur, de trouver une silhouette penchée sur un livre, qui semblait plongée profondément dans sa lecture. Et, quelques instants plus tard, je découvris que cette soyeuse chevelure blonde que chatoyaient les rares rayons de lumières qui pénétraient à travers les rideaux, ne pouvait appartenir qu'à une seule personne. Celle dont je redoutais la réaction face à l'inconcevable vérité qui nous unissait, lui et moi.

Aidan se tourna vers moi et un sourire se dessina sur son visage, mais son regard n'était pas comme d'habitude ; il était voilé d'une étrange expression de tristesse que je n'avais pas l'habitude de voir, ni dans mes rêves, ni pendant nos brèves interactions. C'était une expression nouvelle, une expression d'abattement que je voyais sans doute pour la première fois, et qui me déchira le cœur.

Je décidai pour le moment de délaisser mon but pour me pencher plus sur les raisons qui poussaient le jeune homme à afficher cette mine déconfite. Mais, faute de courage, je n'avais pas la moindre idée sur comment aborder les raisons qui le poussaient à afficher cet air abattu.

– Bonsoir, soupira-t-il en essayant tant bien que mal de masquer sa tristesse apparente.

– Bonsoir, répondis-je.

Dans le silence de la bibliothèque, ma voix résonna plus fort qu'elle n'aurait dû, et après que les dernières syllabes furent éteintes, seuls nos souffles se faisaient entendre. Le mien était rapide et saccadé, comme si je venais à peine de faire un effort physique, celui d'Aidan par contre était long et profond, témoin d'une sérénité que je soupçonnais être feinte.

– Qu'est-ce ? Repris-je en pointant le manuscrit.

A la mention du livre, Aidan rougit légèrement et s'empressa de le cacher sous une pile de papiers et d'autres volumes. Cette réaction démesurée à cause d'un simple livre attisa ma curiosité, et je désirai en savoir plus.

– Qu'étais-tu en train de lire ? Insistai-je.

– Rien d'important, répondit-il avec une désinvolture très mal jouée.

Je fronçai les sourcils et le regardai avec détermination :

– Tu es un très mauvais comédien. Et ce n'est pas grâce à mes pouvoirs de sorcière que je sais que tu mens.

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