Chapitre 23

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- On ne va pas rester ici, n'est-ce pas?

J'avais abandonné mes vains essais de plonger dans le sommeil et je me tenais assise sur un des fauteuils du salon.

- Pas longtemps.

C'était le brasier d'une rage meurtrière qui brûlait constamment en moi depuis quelques temps. Disparition après disparition, Samaël continuait à recruter de nouveaux soldats dans son armée. Et moi, vidée de toute autre émotion, je ne ressentais qu'une haine profonde envers cet être qui agissait en dépit des lois humaines.

Nos recherches concernant Délia avaient porté leurs fruits. Selon une vielle légende, elle serait la seule à savoir l'emplacement exact de Samaël. Un endroit ignoré de tous.

Aidan avait pris place sur le fauteuil à mes côtés, et dans le silence qui s'était abattu, on pouvait presque ressentir les rouages de mon cerveau tourner à vive allure.

Délia résidait dans le monde de l'Oubli. Crainte par tous, elle avait une réputation de malice et de cruauté impensables.

Décidément, ma mère avait le don de bien s'entourer...

Pour l'instant, enveloppée dans une couverture de fine laine, profitant du confort auquel j'avais été contrainte à dire adieu, je me permis de ne penser à rien. D'essayer de vider mon coeur de tout ce qu'il retenait.

Une question me vint à l'esprit:

- Aidan, sais-tu où se trouve le monde de l'Oubli?

Il soupira:

- Si tu veux la vérité, je n'en ai aucune idée. Mais je connais quelqu'un qui pourrait nous aider. Une vieille connaissance. Cependant, je ne pense pas qu'il soit particulièrement enchanté à l'idée de me revoir...

- Ça ne nous arrange en rien, mais on peut toujours essayer.

Ce fut sur ces derniers mots que je quittai le salon après avoir souhaité une bonne nuit à Aidan.
Il me répondit qu'il allait rester quelques temps afin de réfléchir.

Pour ma part, la fatigue qui me terrassait ne me laissait de choix que de traîner des pieds jusqu'à ma chambre après avoir passé près de deux heures dans le bain.

Je m'habillai puis me laissai choir sur mon lit, l'esprit en prise à un débat intérieur tumultueux.

Je m'assoupis quelques minutes plus tard.
Cette nuit-là, je rêvai.
Et mon rêve fut indubitablement singulier.

Je me trouvais dans une chambre, assise devant une coiffeuse en bois massif. Des rayons de lumière filtraient à travers l'épais rideau qui recouvrait la majorité de la fenêtre. Un silence oppressant régnait. J'avais peur; je me tordais les doigts. Un bruissement de tissus résonnait avec alternance dans la pièce. Ma mère faisait des va-et-vient, en prise à une colère sourde.

Elle parla, le ton de sa voix était contenu, mais à chacun de ses mots, une partie de moi se brisait.

- Qui croyais-tu berner, petite sotte ? Tu ne peux pas échapper à ta destinée, et encore moins la contourner! Tu n'es pas censée perdre ton temps, insolente que tu es! Et Aidan, je veux que tu l'oublies! Tu n'as pas le droit d'aimer.

Je frissonnai, un sentiment de révolte naissant en moi. Un éclair de lucidité traversa ses yeux colériques. Je craignais le pire.

- Prépare tes affaires, annonça-t-elle, on part demain.

- Non!

- Ce n'était pas une proposition, Kathleen, c'était un ordre.

Et elle sortit dans un tourbillon de soie, me laissant désemparée. Je n'étais pas censée tomber amoureuse, elle l'avait nettement laissé sous-entendre.

J'eus l'impression d'être privée d'air, avant de me réveiller, le souffle court, le front en sueur. La lumière du couloir s'alluma subitement. Des pas se firent entendre, avant que la porte de ma chambre ne s'ouvre à la volée. Sur son seuil, un Aidan à la mine inquiète me toisait.

- Que se passe-t-il ? fit-il en s'asseyant sur le bord du lit, trouant l'étau de pénombre par la lumière vive de sa baguette.

- Rien, ne t'inquiète pas, ce n'était qu'un mauvais rêve, mentis-je.

Un pli soucieux barrait tout de même son front.

- Tu en es sûre?

- Certaine.

Jusqu'où pouvais-je faire confiance à la véracité de mes souvenirs? Je préférais ne pas l'alerter si tout ce que je voyais s'avérait être faux.

Il déposa un baiser dans mon cou avant de se lever. Je frissonnai face au contact de ses lèvres sur ma peau.

- Bonne nuit, dit-il, dors bien.

Quand il fut parti, je m'allongeai sur le dos, répétant mentalement les faits narrés imperceptiblement par ce semblant de rêve. Cette fois-ci, à force de cogiter, je finis réellement par tomber dans les bras de Morphée.

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