Chapitre 15

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Il faisait nuit, et dans la confusion, je n'arrivais pas à distinguer les coups des soldats de Haley des battements de mon cœur déchainé. Je n'allumai pas la lumière, ma baguette suffisait pour éclairer ma chambre, et je continuai à fouiller frénétiquement dans les tiroirs de mon armoire à la recherche d'une tenue adaptée à l'odyssée qui nous attendait. Très vite, la pièce auparavant méticuleusement rangée, ressembla à un champ de bataille.

Je tombai fort heureusement sur un pantalon noir, que je mis avec un haut léger qui me tomba sous la main. Je détruisis la sculpture que formaient les mèches de mes cheveux et la rassemblai en un chignon effroyablement mal fait. J'ajoutai à tout cela une paire de bottes plates qui soulagèrent mes pieds qui s'étaient habitués à la hauteur de mes talons, et fourrai aveuglément dans un sac des habits de rechange, tandis que ma baguette fut rangée sous mes vêtements. Quand j'eus fini, je descendis les marches quatre à quatre et attendis que les autres eussent terminé.

Les portes tremblaient sous les coups des Ames et des serviteurs du Mal en personne, et les grincements qu'elles produisaient me firent penser qu'elles n'allaient pas tarder à céder. Athéna, Aidan, Heather et Klaus me rejoignirent et nous nous dirigeâmes vers la sortie de service. Nous nous engouffrâmes à l'extérieur, l'air alourdi par l'angoisse nous comprimant la poitrine. Des bribes de conversation nous arrivèrent, et le bruit de la porte qui éclata enfin sous la colère des Ames nous parvint en toute lucidité.

– Nous ne pouvons pas y aller en voiture, chuchota Klaus, ce serait trop dangereux. Nous allons devoir marcher, nous trouverons un moyen de locomotion en route.

Nous longeâmes le château, le dos collé contre le mur, ralentissant difficilement nos respirations en jetant régulièrement des regards à droite et à gauche. Le moindre petit bruit, même le plus faible suffisait pour me faire sursauter.

– Nous devons atteindre les Barrières Maudites, haleta Athéna.

Klaus nous rappela à l'ordre en nous intimant de nous taire, des pas résonnaient dans le silence de cette nuit avancée, puis, finalement, nous entendîmes le bruit d'une autre porte qui céda, et les fidèles serviteurs de Haley entrèrent dans le château en poussant des cris de bêtes enragées.

De notre côté, nous attendîmes que le silence retombât pour continuer notre avancée. La ville était grandiose, et nous n'atteignîmes son centre qu'à l'approche de l'aube.

Les rues étaient désertes, nos pas résonnaient dans le silence qui s'était abattu depuis longtemps sur la ville ensommeillée, et nous parcourûmes un long chemin ensemble, essoufflés et sur-le-qui-vive, tournant la tête à chaque fois qu'un bruit suspect retentissait.

Notre petit groupe s'avança encore quelques mètres, avant d'être arrêté par une dizaine de cavaliers de noir vêtus. Les garçons se mirent devant, se préparant à une action violente, mais cela n'arriva pas. Une seule personne du groupe en face s'avança sur son cheval, et enleva vivement sa cape. Je reconnus Dame de Caprisan, cette dernière nous fit signe et nous nous avançâmes vers elle.

– Montez, ordonna-t-elle en désignant les destriers libres.

Je m'exécutai tant bien que mal, étant donné mon manque relatif d'expérience en cavalerie. Elle remit sa cape et nous nous engageâmes dans les chemins, pourchassant les zones d'ombre et guettant les environs.

Dame de Caprisan s'arrêta brusquement, nous obligeant de faire de même. Je tournai la tête à droite et à gauche, et repérai un de nos poursuivants qui regardait dans notre direction, sur le moment, aucun sort ne me traversa l'esprit, mais heureusement, je n'eus pas besoin d'en faire usage. Il retourna finalement d'où il était venu, nous laissant baigner dans l'angoisse.

Quelques longues minutes plus tard, nous revoilà sur le sentier, allant au trot, nos ombres se découpant dans l'obscurité. J'éprouvais une irrésistible envie d'allumer ma baguette, mais à chaque fois quelque chose me rappelait à l'ordre : le souffle fétide des soldats à nos trousses, notre situation critique qu'on se garderait bien d'empirer, ou bien l'urgence qu'on éprouvait d'atteindre les barrières le plus vite possible.

Notre groupe abandonna le trot, préférant le galop pour arriver le plus rapidement possible. Des formes sombres se dessinaient devant moi, et je tentais de lutter contre les visions d'horreur qui envahissaient mon esprit tourmenté, alors que mon corps tout entier rebondissait sur le dos de mon cheval. Ma tête me faisait souffrir, et une douleur sourde parcourait mon dos et mon corps entier tendu à l'extrême.

Je ressentis un soulagement infime quad devant moi se dessina l'ombre de la gigantesque barrière qui séparait Libra Sincera du reste du monde. Je descendis de ma monture, fébrile, et cherchai dans la pénombre l'emplacement de la serrure. Je touchai une imperfection dans la surface plate de la barrière, j'y introduisis la clef. Cette dernière enclencha l'ouverture de la porte et je me dépêchai de remonter sur le cheval.

Derrière nous, le silence de la nuit avait été remplacé par les hurlements de rage des fidèles serviteurs du mal qui s'approchaient de plus en plus.

Nous reprîmes notre course et sortîmes l'un après l'autre dans un nuage de poussière, le martèlement des sabots des chevaux se mêlant au vacarme derrière nous. Les portes se refermèrent dans un grincement sinistre, tandis que nous continuions à fuir la colère de nos ennemis. Dans l'obscurité de la nuit, les arbres nous entourant apparaissaient tels des monstres sanguinaires tendant leurs griffes dans notre direction.

Nous continuâmes notre avancée en silence, zigzagant à travers les arbres. Deux fois, je faillis rentrer dans un arbre, mais je l'évitai de justesse. Nous marchâmes encore quelques mètres, puis, quand les premières lueurs de l'aube éclairèrent le sentier de leurs rayons dorés, nous décidâmes de nous arrêter près d'un ruisseau qui coulait non loin. Je descendis péniblement de ma monture, et le reste de l'assemblée en fit autant, puis je le conduisis près du court d'eau pour que celui-ci puisse s'abreuver.

Nous n'étions plus que quatre : moi, Athéna, Aidan et Klaus. Jackson avait disparu, j'espérais qu'il ne lui soit rien arrivé de mal. Dame Helka nous avait quittés à la limite de la ville. A présent, nous devions simplement attendre le premier guide.

Je passai une main dans mes cheveux en tentant vainement de reprendre une respiration normale. Je fis un tour complet sur moi-même : nous étions encerclés par les arbres, aussi hauts que les immeubles de Manhattan, les rayons du soleil maintenant bien haut dans le ciel filtraient entre les branchages.

Le pendentif de ma mère, toujours autour de mon cou, irradiait d'une chaleur brûlante qui se répandait sur toute ma poitrine. L'air devint froid, et je regrettai de m'être habillée si légèrement. Ma tête commença à tourner, et je m'adossai à un tronc d'arbre en fermant les yeux pour essayer de contrôler mon mal de crâne. Les lumières qui filtraient au-dessus de moi lorsque je levai la tête m'aveuglèrent. Une ombre passa. Ma respiration ralentit, les formes devinrent floues, et mes paupières s'alourdirent. J'essayais de lutter contre le sommeil qui menaçait de m'engloutir, malheureusement, tous mes efforts finirent par être vains ; j'étais à bout de forces. Je me laissai sombrer dans un sommeil profond.

Quand j'ouvris les yeux, j'étais dans une plaine aride, qui avait été fertile par un temps passé, mais qui avait subi les conséquences de la colère des hommes.

Tout autour, le chaos régnait, des hurlements d'agonie étaient poussés, le bruit de la chair humaine déchiquetée résonnait comme un refrain sinistre, et je me tenais là, pantelante, perdue, immatérielle dans ce monde irréel plongé dans l'obscurité d'une guerre sans merci. Une créature horrible s'élança vers moi, et le poignard que je tenais à la main vint immédiatement se ficher dans son cou. De l'autre côté de ce massacre sanguinaire, une autre femme se battait avec acharnement, la colère effaçant les traits de son visage angélique. Une âme perdue parmi tant d'autres.

Je la reconnus immédiatement, puis, je me réveillai. J'étais haletante et en sueur, et de mes lèvres s'échappait un seul mot : Haley. 

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