Chapitre 35

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Une réalisation subite refroidit aussitôt mes ardeurs.
J'avais faibli. J'avais lâché prise.

Mes sentiments étaient si dangereux qu'un jour, ils finiraient par me consumer avant même que je ne puisse avoir le temps de m'y préparer.

Je me relevai, prête à quitter la pièce, l'esprit une fois encore embrûmé. Aidan imita mon geste. Il ressentait mon instabilité, ma perte, et peut-être même ma frayeur.

Car ce jour-là j'avais réalisé que le seul moyen de m'atteindre était de s'en prendre à ceux auxquels je tenais. Et cela était une immense faiblesse.

– Tu ne sais pas à quel point tu te trompes, Kathleen.

Je relevai mon regard vers Aidan. Trop occupée à tenter de me remettre de ma stupeur, je n'avais pas senti que le jeune homme s'était permis sans gêne de s'informer sur mes pensées les plus profondes.

Je le fusillai du regard.

– Excuse-moi, fit-il, amusé par ma réaction.

Je secouai la tête en soupirant. Il reprit aussitôt son sérieux et me rejoignis en quelques enjambées. Le blond posa sa main sur mon épaule.

– Regarde où nous en sommes, Katy, murmura-t-il, regarde tous ceux qui se sont dressés contre nous jusqu'à aujourd'hui. Les seules raisons les ayant poussés à nous tenir tête ne sont que deux : la soif de pouvoir, et l'amour. Et pourtant malgré les embûches, nous sommes bel et bien là aujourd'hui. À qui doit-on notre survie à ton avis ?

Je méditai sur ses paroles. Il avait raison. Il avait toujours raison. Tous les sentiments qui nous avaient habités ne provenaient que d'un seul en réalité : l'amour.

Je n'avais aucun mal à admettre cela, mais je craignais que cette même entité qui nous a poussés à tenir jusqu'au bout ne soit la même que celle qui signera notre fin.

Car nous nous étions promis. Nous nous étions fait un serment il y a de cela des décennies. Et je voyais dans son regard qu'il s'en rappelait aussi.

– Seule la mort, murmura-t-on au même instant.

Par ces paroles, nous nous jetions ensemble dans un gouffre à la sortie floue mais pourtant connue.

C'était simple, soit nous nous en sortions ensemble, soit aucun de nous ne vivait.
Et cette réalisation me causait un étrange sentiment de culpabilité.

Parce qu'intérieurement, je savais que la fin de cette idylle me briserait.

– Aidan ! s'écria une voix.

Je me renfrognai lorsque je la reconnus. Lydia accourut vers nous d'un pas précipité, et, m'ignorant royalement, elle se jeta dans les bras de l'adolescent, pour le moins surpris.

Par pitié, retenez-moi ou elle se retrouvera bientôt aux côtés de Délia...

Je ne pus retenir la grimace qui déforma mon sourire, détail qui n'échappa point à Asher, nous ayant rejoints.

– L'Enchanteresse serait-elle jalouse par hasard ? plaisanta-t-il en venant se tenir à mes côtés.

– Pas le moins du monde, répondis-je.

Mon stoïcisme ne dupa, à mon plus grand désarroi, personne. Le sourire que peinait Asher à dissimuler ne faisait que me le prouver.

– C'est cela, rigola le brun, malgré tous tes talents il semblerait que tu n'aies toujours pas appris à mentir convenablement.

– Il n'est jamais trop tard pour apprendre, répliquai-je tout en fixant les anciens amants entrelacés d'un regard haineux.

Un silence s'installa entre nous. Asher sembla comprendre mon malaise puisqu'il me demanda timidement en les désignant :

– Tu es au courant ?

– Évidemment que je le suis, répondis-je d'un ton sec.

– Et Aidan ?

– Je préfère qu'il prenne l'initiative de me le dire lui-même. Parler de ses anciennes relations est peut-être un terrain miné, et nous venons à peine d'enterrer la hache de guerre, mais s'il tient ne soit-ce qu'un peu à moi, il ne me le cacherait pas...

Asher sembla réfléchir un court instant, puis se décida à parler :

– Je ne pense pas qu'Aidan ait envie de remuer son passé, et surtout son histoire avec elle...

Je le considérai d'une expression soudainement fermée.

– Elle lui a brisé le cœur, continua-t-il sans s'en rendre compte, il ne ferait jamais l'erreur de vivre la même douleur deux fois.

Je fus surprise par cet aveu. Mais avant que je ne puisse demander des explications, je fus rejointe par Aidan et Lydia.

Ce dernier passa un bras autour de ma taille. Je me permis de me laisser aller à son étreinte, puisse-t-elle être la dernière. Et j'oubliai tout, surtout nos différents.

J'étais bel et bien décidée à commencer une nouvelle page, et dans cette dernière son passé n'avait pas d'incidence sur notre relation, seules ses actions, et les miennes, pouvaient la changer.

Il posa ses lèvres sur les miennes. Je répondis aussitôt à son baiser.

Finalement, compte tenu de son geste à mon égard, nous avions la certitude d'être bien partis.

Nous nous séparâmes, éberlués mais ridiculement heureux. Mon regard accrocha celui de Lydia, incandescent. Je lui offris mon plus beau sourire.

Puis je me rappelai enfin la raison de notre venue dans ce maudit château. Au loin, les cartes me narguèrent une énième fois. Je me dirigeai vers celles-ci, enjambant tranquillement la dépouille de Délia, et m'en saisis.

– Et maintenant ? demanda Asher.

– Maintenant, répondis-je en brandissant l'objet de ma convoitise, on va détrôner le Seigneur des Ombres.

FIN DU TOME 2


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