Du sang. Il y avait du sang partout alors que ma mère hurlait hystériquement devant le corps étendu à nos pieds.
--Maudite sois-tu! Qu'as-tu fais? Comment as-tu pu faire cela?!
Malheureusement, moi-même je ne trouvais la réponse adéquate. Celle qui lui conviendrait. Il était vrai: qu'avais-je donc fait?
●●●●●●●Dans exactement trois petites minutes, une heure se serait écoulée. Une heure entière que j'avais passée assise sur la terrasse par cette belle journée, mon carnet de croquis à la main, un crayon à mine dans l'autre, à donner forme aux courbes insignifiantes que j'avais tracées.
Avec une lucidité exemplaire, quelques heures plus tôt, je m'étais rendue à une évidence effrayante : je devenais obsédée par le garçon aux yeux bleus. J'avais l'impression de le connaitre, pourtant, Athéna affirmait ne l'avoir jamais vu au lycée, et encore moins dans l'entourage qu'on fréquentait. Je le dessinais, l'imaginais, croyais l'apercevoir au coin de la rue. Il ne hantait plus seulement mes rêves, mais aussi mon quotidien.
Je me trouvais dans un dilemme. Mon incapacité à expliquer cette étrange connexion, cette proximité bizarre que je ressentais entre lui et moi à chaque fois qu'on se retrouvait dans les vastes champs de l'inconscient me rendait presque folle, malgré tout, j'arrivais à masquer mon instabilité perpétuelle derrière une attitude décontractée, et un enthousiasme très enjoué. J'espérais qu'on ne s'aperçoive pas de mon jeu de rôle. Un rôle pathétique, tellement pathétique que des fois j'arrivais même à hésiter sur ma lucidité, à force d'auto-persuasion.
Un dernier coup de crayon, et je finalisai mon croquis. Je le plaçai sous les rayons chauds du soleil pour en admirer le résultat plus nettement.
Il était beau -non pas mon dessin, mais le garçon. Les traits de son visage avaient ces légères courbes qui témoignaient de l'incertitude de la jeunesse, un menton carré, un regard bleuté sans fond, qui vous transportait vers un autre monde en l'espace de quelques secondes. Je le connaissais, ou du moins, j'en avais l'impression. Camarade qui hantait comme une apparition la fin de tous mes rêves, les bons comme les mauvais.
En admirant une dernière fois mon ébauche de portrait, j'eus l'impression de sentir un souffle dans mon cou, et une présence derrière mon dos. Le rythme de mon cœur s'emballa à mesure que la panique montait en moi. Je me retins de crier et me retournai brusquement. Rien. Si ce n'étaient le calme et le silence inquiétants qui régnaient en maitres sur la maison. Un silence assourdissant et inhabituel, mais, inexplicablement, j'avais cette brumeuse impression que quelqu'un se trouvait dans la maison.
J'abandonnai mon matériel de dessin et pénétrai à pas de loup l'intérieur de chez moi. Je me faufilai dans les couloirs, jusqu'à me retrouver en face de la porte de ma chambre. Derrière moi, tout était illogiquement sombre et baigné dans une noirceur oppressante. Machinalement, j'ouvris la porte : rien n'était à signaler, la pièce était la même, entièrement nue et impersonnelle. Mais quelques secondes plus tard, j'entendis avec effroi un bruit de grincement déraisonnable.
J'étais seule à la maison, et la chaleur torride du mois d'août avait arrêté le vent en pleine course. Malgré cela, la porte se fermait d'elle-même, avec une lenteur sidérante qui me cloua sur place pendant quelques secondes. Quand je sortis de ma léthargie momentanée, je me dirigeai vers cette dernière et tentai de l'ouvrir, en vain. Je devins bientôt acharnée, et tirai de toutes mes forces sur la poignée. La porte ne bougea pas d'un pouce, et je ne réussis qu'à presque me déboiter l'épaule avant d'atterrir sur mon derrière.
Tout à coup, la chambre devint extrêmement froide, d'une froideur impensable en cette période estivale. Je reculai jusqu'à un coin dans la pièce, les yeux écarquillés d'horreur et la respiration saccadée. Un brouillard avait pris place dans la chambre et je ne distinguais plus rien. Je voulus crier à l'aide, mais tous mes sens agissaient comme s'ils avaient été anesthésiés. Je ressentis des picotements sur mon épaule gauche. Ils se transformèrent bientôt en une douleur tellement poignante qu'elle me fit hurler à m'en déchirer les cordes vocales. Dans ma tête, des milliers de voix parlaient, les images s'entrechoquaient et on hurlait. Au milieu de ce vacarme insupportable qui avait élu mon crâne domicile, trois syllabes ressortaient et se répétaient sans cesse dans une boucle infernale dont on ne voyait guère la fin : traitresse.
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MILLENIUM
FantasíaC'était supposé être un été comme les autres. Un été où, à l'aube de ma rentrée à l'université, je me serais libérée de mes chaînes, et je me serais enfin permis de commettre le plus grand des impairs. Un été où j'aurais oublié mes souvenirs brûmeux...