Chapitre 11

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Nous continuâmes à marcher.

– Parle-moi, fit-il.

Prise de court, je bredouillai :

– De quoi ?

– De n'importe quoi, de ta vie d'avant, de la Terre, de tes amis...

– A vrai dire, je n'avais pas énormément d'amis.

Il parut surprit.

– Comment ça ?

– J'étais la fille bizarre, insondable, lunatique, et puis, forcément, on ne se sent pas en confiance avec quelqu'un qui s'évanouit à tout bout de champ, plaisantai-je.

– S'évanouir à tout bout de champ, c'est vrai que cela a de quoi surprendre, rit-il gentiment.

Je souris et nous reprîmes notre chemin en silence. Seul le chant des oiseaux emplissait l'air, créant une atmosphère douce et chaleureuse.

– Cela t'arrivait vraiment ? reprit-il quelques minutes plus tard.

– Oui. Et pendant ces « absences », je te revoyais, enfin, je retrouvais mes souvenirs perdus en quelques sortes.

– Je sais ce que ça fait. Malheureusement, j'ai retrouvé les miens assez brusquement...

J'eus un sourire de circonvention. Cela ressemblait généralement à cela, entre nous à présent, seulement, j'aurais tout donné pour retrouver notre complicité d'antan.

Le champ était encerclé par un mur en pierres grises, ou poussaient çà et là quelques brins d'herbes. Le chemin que nous empruntions se trouvait à proximité.

– On est arrivés, lança Aidan.

Je stoppai net, regardant autour de moi : il n'y avait que la route, le ciel, et cet interminable mur de pierres. C'était original comme destination.

Devant mon air mitigé, Aidan éclata de rire.

– En réalité, je t'emmène là, fit-il en pointant par delà le mur.

Je ne voyais aucune entrée.

– Je vais t'aider à grimper, proposa-t-il.

Il s'approcha de moi, me prit par la taille me souleva au dessus de lui. Il me reposa assise sur le mur, et je me penchai en avant pour l'apercevoir. Le soleil chatoyait au dessus de nous, se reflétant quelques mèches de mes cheveux châtain. Il grimpa à son tour et sauta par terre de l'autre côté. Je me retrouvai toujours perchée sur le mur, et en profitai pour englober tout le magnifique paysage du champ dansant au gré des vents du regard.

– Descend ! me cria Aidan d'en dessous.

Le mur était d'une hauteur assez importante, et le sol me donnait l'impression de s'éloigner un peu plus chaque seconde.

– Je te rattraperai ! reprit-il.

Je pris une grande inspiration, fermai les yeux et me laissai tomber dans le vide. Je sentis des mains fermes me saisir avant que mes pieds ne touchent terre. J'ouvris les yeux. Aidan m'avait effectivement rattrapée par la taille, j'avais les mains sur ses épaules et mes muscles étaient tendus. Nos visages étaient à quelques pauvres centimètres l'un de l'autre. Un instant, son sourire disparut, son regard devint plus intense, accrocha au mien, liés par un lien invisible qui nous empêchait l'un l'autre de le détourner. Il me reposa par terre, cependant ses mains restèrent posées sur ma taille. Un instant, le temps s'arrêta, le monde autour de nous s'estompa, et il ne restait plus que nous.

– Viens, murmura-t-il.

Je le suivis vers quelques buissons aux limites du champ. Nous nous accroupîmes, ma main toujours dans la sienne, et attendîmes en silence. Quelques pousses ressortaient çà et là dans la terre craquelée, et l'endroit que nous observions était baigné d'ombre. Au-delà des buissons commençait une foret qui n'invitait nullement à venir s'y promener. Pourtant, à l'évidence, c'était là qu'il me conduisait. Nous nous enfonçâmes entre les troncs d'arbres encore quelques mètres, puis il me fit signe de me baisser. Je m'exécutai, mitigée, et il s'accroupit à coté de moi.

– Qu'est-ce...

– Chut, me coupa-t-il, regarde.

Je soupirai et fis mine de changer de position pour avoir une meilleure vue depuis notre cachette, mais mon pied glissa sur la terre humide, et mon corps suivit le mouvement, heureusement je me retins de crier in extremis. Aidan m'avait saisie par la taille, m'empêchant ainsi d'entamer une chute phénoménale sur le sol parsemé de cailloux. Il se retenait de rire.

– Il n'y a rien de drôle là-dedans ! fis-je, légèrement offensée, et amusée pour le reste.

Pour toute réponse, il se contenta de sourire et de me tenir plus fermement contre lui. Il me dépassait d'une bonne tête, si bien qu'il murmura dans mes cheveux :

– Regarde bien.

Je suivis son regard, et vis avec stupéfaction la terre à quelques mètres de nous se mettre à craqueler, devenir sillonnée de longs traits rouges et brillants, qui parcoururent le sol et montèrent su les troncs d'arbres.

Tout la foret semblait revivre miraculeusement. J'eus l'impression de me retrouver littéralement en plein conte de fées. J'avais amplement conscience du fait que je devais avoir un sourire niais, presque enfantin sur le visage, mais cela ne constituait pas le cadet de mes soucis.

– C'est magnifique, soufflai-je, émerveillée.

Pour toute réponse, il se contenta de se pencher sur le côté et de sourire, ses lèvres fines contre mes cheveux, son pouce caressant le dos de ma main.

– Je voulais te montrer ceci avant le bal, reprit-il, car quelque chose me dit qu'on n'en aura pas le temps après.

– Merci.

Il avait raison, j'avais en moi l'intime conviction que dès qu'on aurait pénétré la salle de bal, le surlendemain, on allait entamer une nouvelle partie du jeu qui avait commencé à mon arrivée.

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