Une angoisse grandissante engourdissait mes sens ; on n'était plus très loin de cette fameuse guerre qui coûterait plusieurs vies. Je me redressai et vis Aidan accroupi près de moi :
– Il faut qu'on parte, on ne doit pas s'attarder ici.
Mon cœur s'élança dans ma poitrine lorsque j'aperçus son visage si près du mien, et que ses yeux bleus croisèrent les miens pendant quelques secondes. Il se pencha vers moi afin de me dire quelque chose apparemment, mais se ravisa au dernier moment. Au lieu de cela, il me tendit la main et se contenta de m'aider à me redresser.
Après avoir réveillé Athéna et les autres, nous nous remîmes en selle et reprîmes notre chemin. Les branchages des arbres bruissaient gaiement sous l'effet d'une douce brise, et de temps en temps, un volatile fendait les airs, tantôt avec un joyeux gazouillis, tantôt avec un croassement sinistre.
Quelques mètres plus loin, nous atteignîmes une clairière baignée dans la douce chaleur des rayons chatoyants. Un décor si idyllique et paisible alors que nous fuyions la mort était bien ironique.
Droit devant nous, un homme à belle allure guettait les environs avec attention, il nous repéra, puis s'avança prudemment vers nous. J'en conclus qu'il devait s'agir de notre premier guide. Il portait une bague en or gravée d'ondulations qui représentaient l'exact dessin de la marque à mon épaule, et ce détail me rassura sur son identité.
– Bonjour, ma Dame, quel honneur de vous rencontrer, je suis votre premier guide, Dame Helka m'a beaucoup parlé de vous, dit-il.
– Bonjour, répondis-je, le plaisir est partagé.
Sans un mot de plus, l'homme se retourna, marcha en direction d'un fouillis de broussailles non loin et disparut entre les branchages. Il revint quelques secondes plus tard, tirant sur un destrier blanc comme neige.
– Pourquoi avez-vous caché votre cheval ? Fis-je.
– Ma Dame, par les temps qui courent, personne n'est plus en sureté, une précaution de plus vaut mieux qu'aucune.
Je me tus ; il avait raison. L'homme enfourcha son cheval et nous intima de le suivre. Nous chevauchâmes de longues heures interminables à travers les arbres, et nous nous arrêtâmes un quart d'heure pour nous désaltérer et reposer les chevaux. Soudain, un grondement sourd se fit entendre et la terre se mit à trembler sous nos pieds.
Hayley nous avait rattrapés.
Avec un regard inquiet, nous remontâmes hâtivement et reprîmes le chemin avec précipitation. Tout à coup, une douleur fulgurante me traversa l'épaule ; je passai une main sur celle-ci, et quand je la retirai, elle était souillée de sang. La douleur s'intensifia et se propagea dans mon bras tout entier, je hurlai de souffrance. Je lâchai la bride de mon cheval, et les secousses me projetèrent en avant.
Je tombai par terre et roulai sur la terre humide. Un claquement se fit entendre, provenant de mon épaule. Je sentis un liquide s'échapper entre mes os. La douleur était telle, que ma vue se brouilla, j'eus juste le temps de m'apercevoir des silhouettes qui se penchèrent vers moi, puis je perdis connaissance.
Quand j'ouvris les yeux, je fus aveuglée par un rayon de soleil qui avait réussi à se faufiler entre les rideaux primitifs de la pièce où je me trouvais.
Je me redressai péniblement et m'assis sur le semblant de lit dans lequel on m'avait allongée. Je portais toujours les mêmes vêtements qu'avant, et quand je voulus me lever, les murs tanguèrent autour de moi et je fus prise d'un violent mal de crâne. Je me rassis immédiatement en serrant les paupières, comme si ce simple geste aurait chassé les millions d'abeilles qui bourdonnaient à l'intérieur de ma tête. Quand je fus calmée et que la pièce arrêta de bouger sous mes yeux, je sortis en fermant la porte derrière moi. Mon épaule s'était vite rétablie ; mes propriétés de cicatrisation y étaient pour beaucoup, et cela restait un grand atout.
Les couloirs étaient sombres, et dans l'air étaient porté l'écho de rires et de disputes.
Un adolescent passa devant moi, mais se retourna quelques secondes avant de continuer son chemin avec empressement. Je scrutai les murs en pierre grise presque entièrement envahis par le lierre, avant de débouler dans un réfectoire où étaient attablées plusieurs personnes. Le tintement des couverts sur les longues tables en bois terni et les bruits de mastication s'arrêtèrent lorsque je pénétrai l'endroit dans lequel flottaient quelques grains de poussière fugitifs.
– Katy, tu t'es réveillée ! S'exclama Athéna. Je commençais à m'inquiéter, tu as passé douze heures à dormir. On craignait que tu aies perdu connaissance.
Elle se leva du banc sur lequel elle était assise et s'avança vers moi. Des étoiles de victoire brillaient dans ses yeux bleus. Ses mains attrapèrent les miennes, et pendant un infime instant, je retrouvai la simplicité qui existait autrefois entre ma meilleure amie et moi.
– Comment vont les autres ? M'enquis-je.
– Tout le monde est sain et sauf, nous avons réussi à les semer en route. Malheureusement...
Elle marqua une pause, demandant l'approbation des personnes derrière elle.
– Haley a assiégé la plus grande partie de la monarchie, mais les personnes se sont rebellées, et celles qui ont réussi à s'échapper sont venues ici. On en compte un nombre très important de sorciers et sorcières, seulement... ils ont tous besoin d'énormément d'entrainement.
Elle baissa le ton pour me glisser à l'oreille :
– Tout le monde compte sur toi, tu es de loin la plus puissante d'entre nous et ; notre unique espoir, il faut qu'on travaille encore plus, tenant compte de tes pouvoirs légendaires, tout le monde t'a choisie pour mener à bien notre entrainement.
Mon cœur s'alourdit quand elle eut fini ses paroles, et c'était comme si je prenais enfin conscience de l'énorme tâche que je devais accomplir en tant qu'héritière d'une personne qui avait réussi des exploits importants de son vivant, et qui attendait de moi de finir ce qu'elle avait commencé.
Certes, j'avais largement eu le temps de prendre le contrôle sur toutes mes capacités durant mon séjour au manoir, et j'avais développé ma magie au summum de sa puissance, mais entrainer toute une communauté à essayer de faire de même allait être un énorme défi ; et un défi que j'étais obligée de réaliser.

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MILLENIUM
FantasíaC'était supposé être un été comme les autres. Un été où, à l'aube de ma rentrée à l'université, je me serais libérée de mes chaînes, et je me serais enfin permis de commettre le plus grand des impairs. Un été où j'aurais oublié mes souvenirs brûmeux...