C'était un jour d'été, un de ces jours où vous venait l'idée de vous vider l'esprit de tous les tracas quotidiens, ne soit-ce qu'à travers n'importe quelle pratique coutumière, aussi banale soit-elle.
Et la banalité, de nos jours, existait sous toutes formes. Mais indéniablement, la signification du « banal » différait totalement d'une personne à l'autre. Dans mon cas, le banal était synonyme de « quotidien ». Aussi je m'évertuais avec ardeur à dépoussiérer la pile de livres que j'avais ramassée, essentiellement constituée de manuscrits que j'avais laissés traîner çà et là, en proie à un oubli de longue durée.
Depuis mon arrivée à San Francisco, il y avait de cela trois ans, j'avais tenté de noyer mon inquiétude, plongée dans l'ombre d'un constant sentiment de mal être que je ne pouvais expliquer, dans diverses activités hétéroclites, aussi je m'étais engagée dans plusieurs activités physiques, je m'étais inscrite à des cours de piano, que je suivais régulièrement depuis maintenant trois ans.
Mais malgré tous mes engagements, qui ne manquaient pas d'occuper la plupart de mon temps libre, je demeurais toujours hantée par la réminiscence obscure de mon départ, et de la mort de mes parents, qui avait laissé dans mon cœur, à l'endroit qu'ils étaient censés occuper, un vide que je m'efforçais de combler chaque jour, en vain.
Cela était sans compter sur un étrange sentiment d'anormalité qui accompagnait chacune de mes pensées.
La source de ce sentiment était bien évidente : voilà trois ans que je vivais sous la même apparence, celle de la plus normale des adolescentes à diz sept ans.J'habitais avec ma cousine, Sarah, qui avait obtenu ma garde au procès, faute de parent proche. Je ne l'avais jamais connue. Elle s'était présentée à moi pour la toute première fois le jour du procès. Je me rappelais très bien qu'elle semblait constamment hypnotisée. Mais je n'y avais jamais accordé beaucoup d'importance; j'étais dotée d'une imagination fertile qui ne manquait pas d'impacter le côté réel de ma vie.
Alors j'ai joué les aveugles, enchaînant les années l'une après l'autre dans une monotonie maladive.
Techniquement, je toucherais bientôt l'âge adulte, d'ici un an plus exactement, alors, en attendant mon envol et mon déménagement d'ici quelques semaines, j'écoulais des jours heureux aux côtés de Sarah et de ma meilleure amie Athéna, avec laquelle je m'amusais à imaginer un futur brillant et glorieux, après nos études communes en architecture.
La porte du perron claqua, alors que je posais le cadre qui nous représentait, ma mère, mon père et moi, un jour d'été lors d'un voyage en Floride.
Je m'en souvenais très bien, seulement, je trouvais cela bizarre de n'éprouver aucun attachement sentimental à ces souvenirs. À tous mes souvenirs.
Je ne m'étais jamais attardée sur la raison de cette indifférence. Comme si, inconsciemment, je m'en empêchais.
De toutes les manières, j'étais bien décidée à tirer in trait définitif sur le mystère que constituait mon passé. La raison pour laquelle je ne me connaissais aucune famille à part ma cousine et l'éphémère souvenir de parents aimants.
Bientôt, cette chambre redeviendrait aussi nue qu'elle ne l'était à mon arrivée, et les cartons s'empileraient sur le pas de la porte, constant rappel de ma future séparation avec le seul pilier sentimental que je possédais, la seule chose qui me reliait encore à mon passé. Mais pour l'instant, à dix-sept ans, la moindre des choses à faire en tant qu'adolescente digne de ce nom demeurait profiter de l'instant présent, et des dernières semaines des vacances, qui s'écouleraient sans doutes trop vite, à force de soirées et de nuits d'insomnies passées à rire autour du feu, des condiments en main. Et pendant les quelques instants qui précédaient l'aube, quand le ciel se teintait de pourpre et se parait de diamants, venait l'heure des confidences. Dans l'air embaumé de senteurs sucrées estivales, s'échappaient les secrets murmurés.

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MILLENIUM
FantasiC'était supposé être un été comme les autres. Un été où, à l'aube de ma rentrée à l'université, je me serais libérée de mes chaînes, et je me serais enfin permis de commettre le plus grand des impairs. Un été où j'aurais oublié mes souvenirs brûmeux...