Sur la route dans la voiture, l'ambiance est clairement tendue à l'arrière. Même les mouches auraient eu peur de casser ce silence. Sam, fidèle à son habitude, met un point d'honneur à montrer son détachement et son désintérêt de la situation. Elle s'est tout simplement endormie sur mon épaule. Je ne suis pas un nounours et clairement je lui en veux de m'abandonner dans ce moment de gêne intense, mais quelque part ce n'est pas plus mal. Elle n'aurait pas su garder sa langue et je ne veux pas qu'elle s'attire une énième fois les foudres de mes parents. Il n'en vaut pas la peine.
En parlant de lui... Malo n'a pas eu le choix, et j'ai tout de suite vu à sa tête que cette situation a été loin de l'enchanter. Mais mes parents ont revendiqué que c'était ridicule qu'il nous suive avec une autre voiture puisqu'il y avait assez de place dans une seule. Et donc me voilà au milieu de Sam qui fait la morte et Malo qui n'en est pas très loin. Il prend bien garde à éviter tout contact avec moi, qu'il soit visuel ou physique.
L'altercation de tout à l'heure, à peine deux heures plus tôt, l'a bien refroidi. Une douche glacée, de l'azote liquide. J'ai vu son expression se fissurer, littéralement. Lui qui avait paru si heureux et léger, il s'était tourné vers Sam avec un air profondément triste et coupable. Coupable oui. Je salue son culot ceci-dit. Après tout c'est lui qui a merdé, se repointer comme une fleur avec un air coupable ne va rien changer, un peu à l'image du colibri. Vous savez, ce stupide colibri qui avait essayé d'éteindre un feu de forêt en remplissant son bec d'eau. Image très noble. Mais complètement inutile. Malo me fait l'impression d'un colibri.
Bien entendu Sam ne s'est pas radoucie pour un sou, elle s'est contentée de le regarder de haut en bas, lui demandant de sortir de ma chambre sous peine d'hurler. Ça aurait pu être drôle, mais non. Elle faisait réellement flipper. Malo n'en a aucune idée, mais Sam est entrée au Conservatoire National Supérieur d'Art Dramatique de Paris l'année dernière. S'il lui venait à l'idée de simuler une maltraitance de la part de Malo, il était clairement fini. Aussi lui ai-je dit qu'à sa place, je l'écouterais. Il s'était alors raidi considérablement, avant de se lever et de partir, sans plus un regard. Regard qu'il ne nous avait plus adressé une seule fois depuis.
Il faut dire qu'on ne l'a pas beaucoup cherché non plus. Sam est restée dans ma chambre, et tandis que j'avais remis mes écouteurs et décidé de focaliser au maximum mon esprit sur mes cours, elle a allongé sa tête sur mes jambes et a repris sa nuit. Mais je la connais, mieux que personne. Elle est touchée par la situation, au même titre que moi. Ses souvenirs sont peut-être un peu plus flous, mais elle s'en rappelle assez, trop. J'ai donc joué distraitement avec ses cheveux tout en me concentrant, tournant légèrement trop fort la musique dans mes oreilles pour éviter d'entendre les bribes de conversations en bas.
En parlant de ça, mes parents sont de véritables moulins à parole. Je ne me rappelle pas les avoir déjà entendu parler autant en une semaine entière, alors en deux heures... C'est comme si Malo leur avait redonné un nouveau souffle, un regain de vie en eux. Je suppose que c'est compréhensible, eux n'ont jamais perdu le contact, il est toujours resté leur fils à leurs yeux. On aurait naïvement pu croire qu'ils se seraient enfin détournés de leurs carrières, juste pour un moment. Que nenni. Comme on dit, il ne faut pas pousser mémé dans les orties. Parce que s'ils ne font que de parler, c'est avant tout de leur boite. Surprise, surprise. Malo a eu droit à un rapport détaillé, en passant par ses futurs missions et responsabilités. Le pire c'est que ça n'avait pas semblé le déranger. Je ne sais pas s'il y a trouvé là l'opportunité de cacher sa gêne ou s'il se passionne réellement pour le sujet, mais si c'est le cas c'est encore pire que ce que j'avais pensé. Deux robots du marketing à la maison, c'est suffisant. C'est déjà trop. Pas besoin d'un troisième.
Ainsi durant tout le trajet, personne ne fait attention à moi. Ce qui dans mon monde est parfait. Peu valorisant, mais parfait. J'ai laissé reposer ma tête contre le dossier, mes yeux se perdant sur la route et la circulation. Je n'arrive pas à me concentrer sur autre chose que sa voix quand il répond à mes parents. Elle m'hypnotise complètement, s'infiltre en moi et me remplit de l'intérieur. J'essaye désespérément de la relier au souvenir du rire enfantin que j'ai gardé. Je crois que je vais devenir fou. Je crois que je le suis déjà. Je sais que c'est la même personne, mais je n'y arrive pas. Sam n'avait pas tort tout à l'heure. J'ai beau me persuader du contraire et avoir honte de cette pensée, dans mon esprit mon frère est mort à douze ans, il ne peut tout simplement pas être de retour.
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Roman d'amourDes rires d'enfants. Une complicité d'enfants. Une confiance d'enfants. Seulement Rafael n'a plus rien d'un enfant. Son rire ne ricoche plus contre les murs, cette complicité est depuis longtemps enterrée et la confiance est une notion devenue c...