« En condition les gars ! On n'oublie pas : sous la barre des 2''20 ! »
L'air est encore bien frais en ce début mars, pourtant ma température corporelle doit avoisiner les 50. D'accord j'exagère. Mais ne vous méprenez pas, j'adore ça. On l'adore tous ici. L'après-midi touche à sa fin et pourtant on est encore là. On en bave clairement mais on sera aussi les premiers à en redemander. Les deux heures de musculations intensives en début de séance auraient suffi à casser le corps de n'importe qui, pourtant on a enchaîné. La phase d'entrainement technique, de placé de jambes, de foulées tantôt montantes ou allongées, les passages de relais, les exercices de cohésion et de confiance... Et maintenant, enfin, on se contente de courir. Donner le meilleur de nous.
J'entends de l'autre côté de la piste le sifflet de l'entraineur et vois en parfaite simultanéité Amyn s'élancer. Ses foulées sont parfaites, il le sait, on le sait. On est tous remontés au possible, alors il s'élance comme s'il était frais et reposé, donnant le meilleur de lui-même. L'entraineur, directement désigné par la Fédération Française d'Athlétisme, a beau être un homme génial, il n'est pas là pour perdre son temps avec nous. Alors ouais, Amyn se défonce, on se défonce tous pour être à la hauteur de notre chance.
Le passage de témoin se fait sans encombre d'Amyn à Thomas, puis de Thomas à Gabriel et enfin à Loïc. Le relais à cinq n'est pas une mince affaire, vous pouvez me croire. On se doit de se connaître par cœur, chacun d'entre nous. La cohésion est primordiale. Réfléchir pendant la course est automatiquement synonyme de défaite. L'instinct doit primer. L'excellence est dans les détails. On est formatés à réagir instinctivement en fonction de notre coéquipier.
Au début l'ordre de passage évoluait sans cesse. C'était un cauchemar, un véritable désastre. Mais ça nous a permis de mettre en lumière la combinaison la plus performante. Depuis deux ans au Pôle Espoir, ça fait plus d'un an que Loïc est celui me passant le relais. Ça s'est fait instinctivement, tout se fait instinctivement entre nous.
Je le vois arriver derrière moi. Je le laisse encore parcourir une certaine distance et m'élance finalement. Je ne regarde plus du tout derrière moi, ce serait une erreur de débutant. Je sais où il était et je sais quel temps s'est écoulé depuis. J'attends encore un peu et continue de courir en allongeant mes foulées, puis je tends le bras derrière moi. Cette position me fait forcément perdre de mon allure et se doit donc d'être la plus brève possible. Presque en simultané je reçois le témoin dans ma main, exactement de la même manière qu'à chaque fois.
Mon corps réagit de lui-même à ce contact, comme si le petit bâtonnet lui insufflait une décharge d'énergie. Mes genoux remontent alternativement, toujours la même cadence, toujours le même angle. Il me reste plusieurs centaines de mètres avant l'arrivée. Cette position de dernière place me donne à chaque fois un peu plus l'envie de me surpasser et de m'envoler. En compétition c'est sur mes épaules que repose le dénouement, sur mes épaules que s'accumule toute la tension du public et de mon équipe. Ça me donne la rage de vaincre.
« 2''19''71 ! »
Je viens de passer la ligne d'arrivée et l'entraineur lève les bras au ciel, un sourire lui barrant la moitié du visage.
- Bon sang oui ! C'est ça que je veux, c'est ça ! Vous continuez comme ça les gars et le championnat est dans la poche !
L'entraineur semble vraiment fier de nous, rien que pour cette expression je pourrai refaire le tour de la piste en solo. Les gars viennent me taper à tour de rôle dans le dos, aussi rouges que je dois l'être actuellement. On l'a fait. On n'est jamais descendus sous la barre des 20, jamais. On commence tous à réaliser notre exploit et à sourire débilement. Les autres sportifs présents sur le terrain se sont arrêtés pour nous regarder quand Amyn s'est carrément mis à pousser des cris de joie, des cris de joie indiens, des cris de joie étranges. On explose tous de rire, la pression ainsi que l'adrénaline s'évacuant progressivement de nos corps.
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RomanceDes rires d'enfants. Une complicité d'enfants. Une confiance d'enfants. Seulement Rafael n'a plus rien d'un enfant. Son rire ne ricoche plus contre les murs, cette complicité est depuis longtemps enterrée et la confiance est une notion devenue c...