Chapter 10

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Ce matin je ne suis pas allé courir. Je ne suis même pas allé à la fac. Je déteste l'imprévu, car l'imprévu me met forcément sur le devant de la scène. Le pire c'est que je n'avais aucun cours magistraux aujourd'hui, uniquement des TD. Mes professeurs remarqueront forcément mon absence. Vous pensez que « Excursion à la mer en compagnie de son frère ressuscité et phobique de l'eau » pourrait passer en justificatif ? Si je le tourne sous forme de thérapie expérimentale, autant pour l'un que pour l'autre, j'ai peut-être une chance.

Par contre passer outre ma course matinale, ça c'est encore pire. Je me sens mal dans ma peau, comme avec l'impression que mes toxines non brûlées se reproduisent et se propagent en moi. Il me faut mon exutoire. Mais rien à faire. Nous devions partir à 8 heures du matin au plus tard, Malo ne tenant absolument pas à devoir prendre l'autoroute pour rattraper le retard occasionné. Deauville est à trois heures de Paris. Trois heures en compagnie de Malo, assis l'un à côté de l'autre. Séparés par un accoudoir et un levier de vitesse. Moins d'un mètre.

Vous sentez la gêne ? Nous, oui.

Une heure du trajet s'est déjà écoulée, et à part pour m'indiquer notre destination et le temps de route, nous n'avons pas échangé plus de dix mots. Seules les musiques beaucoup trop commerciales de la radio percent le silence pesant entre nous. Je ne sais pas si ça me dérange jusque-là. J'ai laissé ma tête s'appuyer contre la vitre de la voiture, regardant le paysage de la campagne défiler devant mes yeux. Je ne quitte que très rarement la région parisienne après tout. Je n'irais pas jusqu'à dire que je m'extasie devant une vache, je ne suis pas à ce point bobo. Disons que je la regarde avec insistance.

Mais la campagne n'a pas que des avantages. Le grésillement soudain de la radio peut en témoigner. Malo grogne dans sa barbe et change de station, mais le résultat reste le même. En y regardant de plus près il est vrai que le village légèrement vallonné ressemble, pour parler de façon élégante, à une réelle cuvette de toilette. Il est entouré de petites montagnes, à tel point que les ondes ne passent pas en son creux.

Malo souffle dans son coin et finit par complètement éteindre le poste de radio. Je me prépare à ouvrir la boite à gant pour trouver un CD. J'attends simplement qu'il me le demande. Mais non. Il ne dit rien. Alors je ne bouge pas. Il ne dit toujours rien. Je ne bouge toujours pas.

- Faut que je me lance.

Il n'a pas parlé fort, pas fort du tout même. Mais il a parlé. Et alors il se tourne vers moi en agrandissant légèrement les yeux.

- Je viens de penser à voix haute là ?

Je me contente d'un hochement de tête et réprime de justesse ce qui aurait été mon premier sourire, mais de toutes façons il ne peut pas me voir, son regard s'est de nouveau reporté sur la route.

- Il reste un peu moins de deux heures de route Rafael. Je... on pourrait... parler ?

- On pourrait.

Je suis tendu, je le sais. Mais encore une fois je n'ai pas pu courir ce matin, alors qu'au vu de la situation j'en aurais eu grandement besoin. Donc oui, je le sens moyennement. Il se tourne vers moi une petite seconde, le temps de m'adresser un sourire sincère. Il est content que je ne le repousse pas. Et moi je me retiens de simplement grogner.

- D'accord. Quand je t'ai quitté tu avais huit ans, Sam six. Je veux savoir ce que j'ai raté entre temps, n'importe quoi, des anecdotes, ce que tu veux.

Ma bouche est sèche, pire ma gorge elle-même semble asséchée. Ma langue me paraît pâteuse. Mon corps me renvoie tous les signaux possibles : il ne veut pas de cette discussion. Je ne veux même pas de cette situation, je commence à regretter d'avoir accepté. Ouais, en réfléchissant bien c'était une belle erreur. Mer ou pas mer. Politesse ou pas politesse.

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