Et si c'était vrai? (Pdv Alice)

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- Alice regarde la nana la bas elle n'a pas l'air dans son assiette...

- Tu la connais ?

- Non ! Mais ils font quoi les mecs autour d'elle ? me demande ma sœur.

La pièce est noire, seulement éclairée par des spots qui changent de couleur. Le bruit tellement fort devient assourdissant. Je peine à avancer, bloquée par des personnes allongées ca et la, complètement ivres. Je me fraie un chemin, suivie par Florence qui se cache derrière moi. Comment nous sommes nous retrouvées là ? ah oui, une soirée déguisée d'anciens de l'école de ma sœur. Thème de la soirée : années 1980. Quelle originalité ! Elle m'y a trainé pour trouver un ingénieur de bonne famille, mais finalement je n'ai trouvé que de la viande saoule, seulement décidée à me mettre dans leur lit. J'en ai d'ailleurs repoussé plus d'un depuis le début de la soirée. Le débit de boisson des uns et des autres est affligeant. Je m'approche discrètement pendant que trois garçons sont en train d'essayer d'embrasser une fille qui visiblement se débat tant bien que mal. Il la brusque légèrement en lui disant des saloperies inaudibles.

- Qu'est-ce que vous faites ? crié-je à travers le son.

- Qu'est-ce qu'elle a la perruque à paillettes ? elle veut participer elle aussi ? me répond un des types complètement bourré en essayant de me peloter les fesses. Mon verre de coca lui atterrit directement en pleine face, ce qui le rend encore plus nerveux. Il revient à la charge mais je lui fais comprendre d'un coup de genou bien placé qu'il n'a pas intérêt d'essayer quoi que ce soit.

- Poussez-vous !

Prise d'une force insoupçonnée jusque-là et poussée par un élan de solidarité féminine, je tire un des gars par le col en arrière pour qu'il me laisse passer et arriver jusqu'à elle. Je m'agenouille et la trouve à moitié consciente, les yeux fermés. Elle est vêtue d'un collant a résilles et d'un short rouge en latex par-dessus. Son haut est scintillant et sa perruque ressemble à une barbabapa. Son maquillage est très accentué. Son fard à paupière rouge pailleté et ses faux cils m'empêche de voir correctement ses yeux. J'essaie de la ramener parmi nous mais elle ne réagit presque pas.

- Laisse la, elle est frigide de toute façon ! lance un mec derrière moi en rotant à moitié.

- Il faut appeler les pompiers ! elle n'est pas bien là ! crié-je à ma sœur qui s'exécute directement.

- Mais non laisse la décuver et après je m'en occuperai! me répond toujours le même benêt en se léchant les lèvres comme s'il était prêt à la dévorer.

- Non elle tremble, c'est dangereux ! elle est venue avec qui ? crié-je à l'assemblée.

Personne ne répond évidement. Je glisse ma main dans la poche de son short et trouve son téléphone. Je fouille dans ses contacts dans le but d'appeler quelqu'un qui de sa famille pour prévenir qu'elle est en danger. Le premier numéro de son journal d'appel est nommé « frérot »...parfait ! Ça sonne mais personne ne répond. Le téléphone toujours collé à l'oreille, j'essaie de la maintenir réveillée en lui mettant des claques et en l'aspergeant d'eau. Tous les garçons sont partis, la laissant ivre morte et personne ne se soucie de son état. Je rappelle une énième fois et quelqu'un décroche enfin :

- Oui ? tonne une voix grave.

- Ta sœur ne va pas bien, tu peux venir ?

- C'est qui ?

- Viens je te dis ça peut pas attendre !

- Où ?

- 15 Rue blanche

Et ça raccroche. A peine cinq minutes après un type aux cheveux longs plaqués en arrière arrive et me pousse.

- Qu'est-ce qu'elle a ?

- Elle a trop bu je pense et les types la bas essayaient de...

- Quoi ?! Lesquels ? hurle-t-il sans relever la tête.

- Le groupe des trois là-bas !

- Occupe-toi d'elle ! je reviens !

Il se lève et fonce dans leur direction. Il en attrape un par la chemise et le projette directement contre la rambarde de la terrasse sur laquelle il s'écrase lamentablement. Le deuxième qui essaie de s'interposer prend un coup de poing en pleine figure et le troisième, j'ai mal pour lui. Le frérot en question se déchaine sur lui à coup de pied et de poing. Tandis qu'il est à terre, il continue de se défouler littéralement en l'insultant. Je n'entends pas ce qu'il se dit mais sa posture traduit son animosité. Il le laisse pour mort et reviens dans ma direction. Les yeux injectés de sang et la bouche tuméfiée, il me fait peur. Tout à coup, la musique s'arrête et on entend alors à travers la pièce :

- Les flics arrivent !

En une fraction de seconde, il y a dispersion et la moitié de l'assemblée s'évapore. Le fameux chevelu revient vers sa sœur, l'arcade sourcilière défoncée aussi et la porte dans ses bras, encore complètement inerte. Il se retourne et me fixe de ses prunelles bleu roi:

- Merci !

Aaaaaargh Yann !

Je me redresse et reprend mon souffle. Mon tee shirt me colle et je mets quelques secondes à comprendre que je suis chez moi. Il est 2h42 et je me réveille d'un cauchemar horrible. Je me lève et vais boire un verre d'eau dans le but de remettre mes idées en place. Pourquoi ai-je rêvé de ça ? maintenant ? ca fait plus de deux ans que j'ai participé à cette soirée atroce avec ma sœur. La dernière d'ailleurs. Après, je n'ai jamais plus voulu la suivre dans ces plans foireux. A l'époque, je n'étais même pas encore en couple avec Pierre. Pourquoi cette anecdote refait-elle surface ?

Les échanges que j'ai eu avec Auriane (maintenant que je connais son vrai prénom) depuis notre rencontre me tournent en tête : « il ne faut pas se laisser abuser » « les hommes abusent des faiblesses des femmes ». Elle semble tellement haineuse par rapport aux hommes. Est-ce par rapport à son père ou bien a-t-elle elle-même été abusée ? Serait-elle celle dont je me suis occupée à cette fameuse soirée ? ce n'est pas possible, je l'aurai reconnue. En même temps, elle était tellement vulnérable cette pauvre fille, les cheveux collés et le visage boursouflé. Et ce mec, le frérot ? Serait-ce Yann ?

- Non ! crié-je à travers mon appartement sombre et silencieux.

Suis-je en train de reconstituer le puzzle ? j'ai bien peur que oui.

Je tourne comme un lion en cage, ne sachant pas si je dois aller l'affronter pour lui poser la question directement ou bien prendre le temps de digérer cette découverte (au risque de me tromper) et de lui en parler plus tard. La première solution me semble la bonne et je fonce en direction de la porte mais suis stoppée net dans mon élan par le courrier laissé sur mon paillasson. Une petite enveloppe blanche sur laquelle est écrit : « Promets-moi de la lire. Yann »


Bad Trip - Tome 2Où les histoires vivent. Découvrez maintenant