Tentative d'approche (Pdv Yann)

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Katie - son père - sa mère - Katie - son père - sa mère...ce défilé ne cesse de passer devant mes yeux, comme un bandeau publicitaire. Mes oreilles sifflent sans que je sache pourquoi et la pièce se met à tourner autour de moi. Comme au bord d'un précipice, je sens le sol se dérober sous mes pieds mais je n'ai pas le temps de réagir qu'une tape sur l'épaule, que je qualifierais de "pas très amicale" me sort de ma transe.

- Content de toi ?

Je me retourne et fait face à mon père. Dans un premier temps, je ne réalise pas mais dans la seconde qui suit je m'avance en direction de Katie, sans réfléchir. Je suis ce que mon cœur me dicte sans faire attention aux quelconques commentaires ou regards qui ne me lâchent pas et qui commencent réellement à peser lourd sur mes épaules. Au fond de moi, je sais qu'il se passe quelque chose d'anormal et de grave mais je n'arrive toujours pas à saisir la raison essentielle.

Comme je le pressentais, la soirée est en train de tourner au vinaigre. L'ambiance est pesante et je n'ai toujours pas réussi à scruter les visages des parents de Katie. Ils sont toujours assis, statiques, sur la table basse en face de Katie.

Je m'avance doucement pour enfin apercevoir le visage de Katie, mais lorsque j'arrive à leur hauteur, le père de Katie me fait un signe de la tête m'incitant à venir m'assoir à côté de lui. Je remarque qu'il ne peut pas utiliser un autre de ses membres pour m'indiquer de m'approcher. Seuls ses yeux me font passer des messages, ses mains étant positionnées fermement sur celles de Katie. Ses phalanges sont blanchies par la pression qu'il exerce sur ses poignets pour les maintenir en place. Sa mère me regarde furtivement.

Aucun éclair de colère dans son regard mais seulement de grosses larmes qui menacent de couler à tous moments. Aucune haine n'émane de ses parents, seulement de la tristesse et du désarroi face à l'état dans lequel se trouve leur fille. Quelque chose me dit qu'ils ont déjà connu ce type de situation et qu'ils savent comment agir mais moi, au milieu de ce chaos, je ne sais absolument pas quoi faire pour aider. J'ai déjà eu à faire face à des crises d'hystérie de Katie mais rien de bien méchant. Elle criait un bon coup, jusqu'à en perdre sa voix parfois et jurant que j'étais le plus mauvais des garçons, que je ne lui apporte rien de bon...je l'ai aussi vu pleurer toutes les larmes de son corps en m'implorant de ne jamais la quitter. J'ai eu aussi le droit à du chantage au suicide...elle est plutôt du style tempête, à éclater pour ensuite se calmer et se raviser mais je ne l'ai jamais vu aussi calme. Etrangement calme justement.

Elle est là, ma Katie, assise, les genoux repliés sur la poitrine et la tête posée sur les genoux. Pourquoi dit je "ma Katie" alors qu'elle peut m'exaspérer au plus haut point ? La voir dans cet état me rappelle que nous avons passés des bons moments et j'éprouve de la peine pour elle, je vois bien qu'elle n'est pas dans son état normal « post crise ».

Son père maintient toujours ses mains fermement. De peur de quoi ? peut-elle se faire mal ? s'auto mutiler ? non ce n'est pas possible ! Elle se balance d'avant en arrière lentement.

Sa respiration est calme mais bruyante. Elle tremble par moment et j'entends quelques sanglots étouffés. Elle continue inlassablement de se balancer. Elle marmonne des mots inaudibles et je comprends rapidement qu'elle est dans un état second. Je ne l'ai jamais vu ainsi. D'ordinaire pétillante et plutôt volubile, à cet instant, elle est abattue. Je ne la reconnais plus. N'osant pas demander ce qu'il se passe réellement, je reste là, spectateur de cette grande tristesse. La détresse se lit sur le visage du père de Katie. Lui aussi d'habitude si droit, fort et froid semble exténué.

Toujours de la tête, il m'intime de lui parler en mimant avec les lèvres et chuchote :

- Parle lui doucement.

J'obéis aux ordres, sans en demander plus. Le reste de la pièce est toujours plongé dans un silence de mort. Je m'approche d'elle lentement. Elle réagit comme un animal sauvage que l'on tente d'apprivoiser ou comme si je la battais. C'est à mon tour de me reculer quand enfin elle relève la tête. Ses yeux sont ensanglantés et plein de larmes. Je prends sur moi et me radoucit immédiatement pour ne pas l'effrayer mais son regard est dur, très dur, au point de m'envoyer une gifle virtuellement dès que ses yeux entrent en contact avec les miens.

- non, non, non, non ! crie-t-elle et elle se referme instantanément comme une coquille d'huitre, la tête sur les genoux. Je reste impuissant devant sa souffrance.

Son père pose sa main sur mon avant-bras et me presse doucement m'indiquant qu'il faut patienter. Je m'exécute et attend silencieusement qu'elle veuille bien relever la tête. Nous attendons tous dans un silence religieux pendant ce qui me semble être une éternité. Je consulte discrètement l'horloge et au bout de quatre minutes, ses balancements se calment et son corps se détend. Son père lâche doucement ses poignets pour la laisser s'allonger sur le côté. Elle s'endort quasiment instantanément. J'ai pourtant l'habitude de ses sauts d'humeur et changements radicaux de comportement, mais là j'avoue que je suis un peu perdu. Sa mère va se positionner vers son visage et lui caresse doucement le visage. Ce visage qui, il y a à peine dix minutes était fermé et dur est à présent détendu et serein. Je passe quelques secondes à la contempler si calme et apaisée. Elle ressemble à une petite fille innocente, incapable de faire du mal à une mouche. Elle est belle, paisible et douce. Je me surprends alors à repenser aux bons moments que vous avons passés ensemble jusqu'à présent. Je dois bien le reconnaître, Katie m'a permis de devenir un peu plus sage et responsable et elle a toujours été présente même dans les mauvais moments, quand tout ceux que je pensais être mes amis m'ont tourné le dos. Elle m'a aidé à surmonter mon passage sombre et ne m'a jamais laissé tomber. Nous avons également passé de bons moments ensembles, notamment pendant les vacances quand nous étions seuls au monde, sans le tumulte quotidien.

L'été dernier, nous sommes partis visiter la côte ouest des Etats unis...un voyage formidable pendant lequel nous nous sommes plutôt bien entendus, malgré une ou deux crises de Katie, qui s'énervait parce que j'avais commandé une pizza dans un restaurant et que d'après elle la serveuse me faisait de l'œil, ou encore quand elle s'est fortement emportée (doux euphémisme quand on parle de Katie) contre la réceptionniste d'un hôtel car notre réservation n'avait pas fonctionné et que nous avons dû nous rabattre sur une chambre plus petite mais toute aussi confortable. En effet, nous sommes diamétralement opposés. Elle préférait pavaner dans Beverly Hill à regarder les maisons de stars (s'imaginant certainement habiter dans une, un jour ou l'autre) ou encore à l'affut de la moindre voiture pour croiser une star, tandis que moi je préférais les grands espaces de nature paisible du Nevada. En faisant un bilan rapide, oui Katie est quelqu'un de très possessif et très impulsif mais j'ai toujours réussi à gérer ses crises même si ces derniers temps, ça devenait étouffant, d'où mon éloignement. Alice m'a aussi fait tourner la tête mais c'est un autre débat. Est-ce à cause de moi si Katie a ce comportement si étrange?

Le film de nos deux ans passés ensemble, ponctués de très bons moments mais de moins bons également, me repasse en tête quand tout à coup je sens une main se poser sur mon épaule.



Bad Trip - Tome 2Où les histoires vivent. Découvrez maintenant