Chapitre 9

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Hotel California - The Eagles

Son éternelle valise roule derrière elle alors qu'elle traverse l'aéroport de Lyon en direction de son terminal. Son billet en main, acheté sur un coup de tête, elle vole vers de nouvelles aventures. Littéralement. Mieux qu'une certaine boisson gazeuse, cette perspective lui donne des ailes. Un sourire niais est plaqué sur son visage et il est difficile d'imaginer que la veille encore, elle pleurait toutes les larmes de son corps. Après la pluie, vient le beau temps, c'était ce qu'on disait. Eh bien, pour Joanne, après une journée particulièrement nulle, suivait toujours une journée beaucoup plus positive. Un voyage à Londres pour une durée indéterminée était une raison de se réjouir. Elle avait envie de crier à tout le monde où elle allait, montrer sa joie, sauter sur les bancs en dansant. L'euphorie contaminait chaque cellule de son corps et une folle envie de rire montait de ses tripes. Elle se retient néanmoins : elle aurait eu l'air un peu effrayante à rigoler sans raison apparente au milieu d'une foule d'inconnus. Elle arrive à l'enregistrement des bagages, dit « au revoir » à sa valise qui la suivit dans toutes ses aventures puis finit par courir pour se décharger un peu de toute cette énergie. Elle arrive en avance à l'embarquement et devant l'attente qu'on lui impose, elle veut grogner de mécontentement. Qui ose ainsi la couper dans son élan ? Elle refuse de s'assoir, alors qu'il y a des places libres qui n'attendent qu'elle. Debout, elle trépigne sur place, tapant tantôt du pied gauche, tantôt du pied droit, jetant des regards autour d'elle pour trouver une distraction. Son attention se porte alors sur une famille de quatre enfants qui jouent plus loin et elle observe les petits se pourchasser en riant et en criant, malgré les efforts de leurs parents pour les calmer. Cette scène lui rappelle ses vacances en Provence, du temps où elle était animatrice. Etait-ce il y a si longtemps déjà ? Nous étions octobre et elle avait l'impression qu'une éternité s'était écoulée. Elle n'avait même pas pris la peine de fêter son anniversaire.

Une jeune femme vient annoncer l'ouverture de la session d'embarquement et Joanne est la première à se précipiter vers elle pour lui tendre son billet. Son premier sésame validé, la voilà qui traverse le couloir la menant à l'intérieur de l'avion. Ce n'est pas la première fois qu'elle le prend - à vrai dire, c'est seulement la deuxième - et elle n'a pas non plus la chance de voyager autrement qu'en classe économique, mais elle se sent toute émerveillée par cet appareil si grand de l'extérieur et si petit quand on est à l'intérieur. Elle s'assoit à sa place réservée, jubile quand elle voit qu'elle a droit à la vue sur le hublot et s'installe en mettant son sac à dos entre ses jambes. Pendant que le reste des passagers pénètrent à leur tour dans l'avion, elle sort ses écouteurs pour se murer dans son mur de silence, n'en sortant que lorsque les hôtesses de l'air donnent leurs consignes de sécurité pour y retourner aussitôt. Le visage contre la paroi, elle regarde à travers la fenêtre le sol qui s'éloigne petit à petit, jusqu'à être entièrement recouvert par les nuages. Dans quelques heures, elle sera sur le sol britannique, celui qui a vu naître des légendes. Elle pense à tous ces musiciens, chanteurs, chanteuses de talons que le royaume de la Reine a engendré et se demande si elle aura elle aussi la chance de voir son talent éclore sur ces terres. C'est son vœu le plus cher. Alors que son voisin de siège s'est endormi, elle se baisse pour attraper dans son sac son petit carnet, celui qui lui sert de journal, de pense-bête, de carnet à dessins, de tout. Elle veut se faire une liste, des rêves qu'elle veut réaliser mais aussi des choses qu'elle va devoir faire pour s'installer à Londres de manière plus ou moins longue. Son stylo entre les doigts, elle griffonne quelques mots tandis qu'une hôtesse passe entre les rangs avec son chariot, l'interrompant pour savoir si elle désire quelque chose à boire. Elle demande un simple verre d'eau puis retourne à sa liste d'objectifs. Désormais, quoi que quiconque puisse dire, plus personne ne saurait l'en détourner.

Il ne faut pas très longtemps pour relier la France à la Grande-Bretagne et elle arrive à destination en début d'après-midi. Sa première mission est de retrouver sa valise et une fois chose faite, elle coche la case correspondante sur la feuille arrachée à son pauvre carnet. Deuxièmement : il faut qu'elle mange. Elle ne va pas très loin pour trouver un fast-food qui fera parfaitement l'affaire, se promettant quand même de ralentir le rythme dès que possible avant de le regretter : c'était un coup à se filer un mal de ventre légendaire. Assise sur une table, son hamburger dans une main, elle fait défiler du bout de son index libre les annonces de logements dans les environs accessibles de la ville. Plusieurs appartements retiennent son attention et elle note avec soin les numéros des propriétaires pour commencer dès le lendemain un démarchage intensif. Sa détermination n'a pas d'équivalent. Sa liste minutieusement préparée lui donne un chemin, une route à suivre qui a tout de rassurant. C'est le seul moyen qu'elle a trouvé pour survivre dans cette jungle qu'est l'inconnu. Elle termine son repas en réservant un hôtel à quelques minutes à pied du centre-ville et se remet en route avec le sentiment de satisfaction qui accompagne des tâches rondement menées.

Those Ocean Eyes [FR]Où les histoires vivent. Découvrez maintenant