Those Ocean Eyes [FR]

Chapitre 6

Amanda McGee est une très belle femme. Grande, fine, élégante, blonde et raffinée, difficile de ne pas se sentir diminuée quand on se trouve juste à côté d'elle. L'actrice a déjà joué avec les plus grands et elle ne se gêne pas pour le rappeler. Partout où elle passe, les gens du bas-monde sont censés se retirer sur son passage, à deux doigts de lui dérouler le tapis rouge. C'est la constatation absurde que fait Joanne après une matinée à la suivre comme son ombre. L'actrice se déplace à grands enjambées, sans se retourner ni baisser son délicat menton, dictant ses ordres à son assistante d'une voix doucereuse où se tapit le mépris, à peine déguisé. A la pause de midi, son nouveau souffre-douleur est reconnaissante d'avoir quelques instants de répit. Sa patronne occupée à déjeuner avec les autres membres du casting dans une salle séparée, elle peut rejoindre ses amis à une table plus loin. Tous ont des têtes d'enterrement et, comme d'habitude, c'est Eva qui commence les hostilités :

- Cet acteur est une plaie.

- Le réalisateur me fait chercher trois cafés par heure.

- Les régisseurs sont des tyrans.

- Amanda est une vieille peau, tranche Joanne.

Ils se regardent tous, comme s'ils avaient proféré les pires des blasphèmes, avant d'éclater de rire en se tapant sur l'épaule, saluant leur capacité à plaisanter sur ce nouveau rythme de travail qui est loin d'être celui qu'ils avaient imaginé. La recruteuse avait bien insisté durant leur entretien : le tournage était en manque de personnel et c'était pour cette raison qu'ils consentaient à embaucher des inconnus, novices en la matière, sans aucun scrupule à leur refiler les tâches les plus ingrates. Joanne écoute avec attention le récit de ses amis, tout en avalant sans appétit sa soupe de lentilles. Même le repas tirait la tête : d'habitude, elle raffolait des lentilles. Mais là, elle ne buvait que du jus froid et sans saveur. Malgré les sourires qu'avaient réussi à lui arracher ses camarades, elle était au plus mal. Quatre heures, c'était tout ce qu'elle avait passé aux côtés de l'actrice et c'était déjà quatre heures de trop.

Après la séance de maquillage, il avait fallu lui faire répéter son texte, tout en se dirigeant vers le lieu de tournage du jour, une chambre de l'hôtel transformée pour l'occasion en plateau de cinéma. A reculons, Amanda insistant pour que Joanne lui fasse face, elle avait déclamé ses répliques, dans son anglais qu'elle pensait convenable mais dont le tyran ne faisait que remarquer les faussetés et irrégularités. A un moment, Joanne faillit même tomber en arrière en trébuchant sur le pli de la moquette du couloir et sa tirade en avait été affectée, avec un petit cri d'effroi qui avait fait grincer des dents sa patronne.

- Concentrez-vous un peu, mademoiselle, et regardez où vous mettez les pieds. C'est donc si difficile pour vous ?

- Ce serait plus simple si vous ne m'ordonniez pas de marcher en arrière, madame, répliqua-t-elle.

Elle sut aussitôt qu'elle avait franchi une ligne jaune imaginaire et s'en mordit les lèvres. Mais le mal était fait et durant le reste de la matinée, elle en paya le prix.

- Et toi alors, Joanne ? l'interrompit Eva dans ses pensées.

Elle en fait tomber sa cuillère dans son bol de lentilles, éclaboussant son T-shirt. Elle lâche un juron puis se saisit de la serviette que lui tend son voisin pour tenter de diminuer les dégâts. Mais elle ne réussit qu'à agrandir la tâche. S'excusant auprès de tout le monde, elle quitte précipitamment la salle du déjeuner pour se rendre dans sa chambre en quatrième vitesse. Elle jure n'avoir pas mis longtemps à se changer mais à en voir la tête de Amanda, elle comprend qu'elle ne sera jamais assez en avance pour elle.

- Arriver en retard doit être une habitude chez vous, Français, mais c'est quelque chose que j'ai en horreur, le manque de ponctualité, dit-elle avec son accent anglais traînant. Et inutile de vous excuser, reprend-elle alors que Joanne ouvrait la bouche pour se défendre. Nous devons partir, la voiture nous attend déjà.