Chapitre 12

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En ce matin d'octobre, le temps était clément, doux et agréable. Les températures étaient certes un peu plus fraîches qu'il y a quelques semaines, mais avec une veste, on s'en accommodait plutôt bien. Le soleil, qui avait daigné les honorer de sa présence, réchauffait le sol de ses rayons de lumière et cela ne faisait que les réconforter davantage. Sur le trottoir, Joanne et Tom serraient dans leur main la boisson chaude qu'ils avaient pris le temps de commander dans un petit café du quartier : thé pour le Britannique, chocolat chaud pour la Française. Aucun des deux ne supportait le café, avait-elle découvert au moment de passer commande. Tom avait eu la chance de retrouver son portefeuille dans l'une des poches intérieures de son manteau et lui avait offert sa boisson, sans même lui demander son avis. Elle qui avait déjà sorti sa monnaie n'eut plus qu'à la ranger dans sa poche. Maintenant, ils étaient occupés à trouver un taxi, un peu plus rares en ces matins dominicaux. Enfin, un d'entre eux finit par passer dans leur rue et le jeune homme n'a qu'à lever la main pour qu'il vienne se ranger sur le côté pour venir les récupérer.

- Après toi, fait Tom avec toute la galanterie du monde.

Il lui ouvre la portière et elle s'engouffre la première dans le véhicule, allant jusque de l'autre côté. Il prend place à son tour puis donne l'adresse au chauffeur en refermant derrière lui. La voiture noire se met en route et le silence s'installe, uniquement dérangé par la douce musique de jazz qui sort de l'autoradio. Joanne regarde de son côté de la fenêtre les rues de Londres défiler. Il lui semble qu'ils se rapprochent un peu du centre et elle se demande où se trouve les studios de tournage de la fameuse mini-série dont il lui a parlé la veille. Elle aura bientôt la réponse, essaye-t-elle de se dire pour calmer son impatience grandissante. Elle aimerait tellement poser toutes les questions qui lui passent en tête mais il a l'air si pensif et préoccupé qu'elle n'ose pas. Lui aussi regarde par la vitre, remarque-t-elle quand elle se risque à loucher de son côté. Ses sourcils sont froncés et son menton repose sur son poing, tel le Penseur de Rodin. Des cernes lui mangent le visage, ce qui est assez inhabituel chez lui, mais sans doute n'est-ce qu'un vestige de la dure soirée qu'il a passé la veille. Certaines de ses rides semblent elles aussi un peu plus marquées sur son visage pâle. Elle se rend compte qu'elle n'a aucune idée de l'âge qu'il peut avoir. D'un côté, il ne paraît pas avoir plus de trente-cinq ans. Parfois, il est au contraire d'apparence si abattue et fatiguée qu'il a l'air d'en porter le double sur ses épaules. Elle n'a aucune idée de combien la vie d'acteur est dure et pourtant, elle ne cesse d'en rêver. Elle ne sait pas ce qui l'attend mais elle fonce tête baissée vers cet espoir fou.

Le taxi finit par bifurquer dans un quartier un peu plus excentré, finalement, et où les immeubles d'habitations laissent place à des bâtiments d'aspect plus industriel. Elle comprend qu'ils ne sont plus très loin quand Tom sort de sa contemplation, se redressant en tirant sur le bas de sa veste, comme si ça l'aiderait à avoir l'air plus présentable. Rien ne pourrait arranger son accoutrement : ses vêtements qui avaient été mouillés, froissés, tâchés de bière, n'avaient plus fière allure et il ferait mieux de s'en débarrasser au profit d'autres. Elle-même n'était pas beaucoup plus apprêtée : son jean était vieux et délavé, bien que confortable, et son pull sans forme était suffisamment ample pour cacher les siennes - de formes. Quant à son maquillage, il ne suffisait pas à dissimuler ses propres signes de fatigue ni à embellir sa coiffure faite à la va-vite. Ils devaient former un sacré duo.

- Nous arrivons, dit brusquement Tom.

Il avait la voix rauque, fatiguée, et il se frotte les paupières comme un enfant mal-luné. Joanne, elle, se redresse sur son siège, à nouveau surexcitée. La voiture s'engage soudain dans une large allée et doit se stopper soudainement : des barrières l'empêchent de passer. C'est comme dans les films, se surprend à penser la jeune femme. L'acteur à ses côtés sort une liasse de billets et les tend au chauffeur sans les compter, pour le remercier de sa course. C'est donc ça, être riche ? Donner de l'argent sans accorder d'importance à sa valeur ? La tête pleine de ses réflexions toutes plus absurdes les unes que les autres, elle finit par sortir de la voiture à la suite de l'acteur. Quand elle claque la portière, elle manque d'y coincer le bas de son manteau mais elle ne semble pas s'en préoccuper. Elle est en train de vivre un rêve.

Those Ocean Eyes [FR]Où les histoires vivent. Découvrez maintenant