Un épais brouillard s'est emparé d'elle juste après le dîner, l'emportant très loin de la réalité jusqu'au petit matin. Quand les paupières de Joanne s'ouvrent ce matin-là, elle a l'impression d'avoir dormi pendant plusieurs d'années, tant son corps est lourd. Allongée sur le côté, une de ses jambes légèrement relevés, un de ses bras sous son oreiller, l'autre pendant dans le vide, aucun de ses muscles ne répond à son appel. Pendant plusieurs minutes, elle est incapable de se mouvoir. Tel un poisson échoué sur la plage, elle git sur ce matelas au drap blanc, un filet de bave tâchant son oreiller.
Finalement, avec beaucoup de volonté, elle se redresse. De sa bouche sort un grognement, qui lui rappelle les matins où sa mère venait la sortir de force du sommeil, quand elle n'était alors qu'une ado. C'est un matin de ce type-là qu'elle vit aujourd'hui. A semi-consciente, elle se frotte les yeux. Ses pieds viennent trouver le sol et la guide vers les fenêtres dont elle tire les rideaux. Aussitôt, la lumière envahit la pièce et elle laisse échapper un gémissement de douleur. Trop de luminosité a endolori ses pupilles et elle se détourne. Trouvant refuge dans la salle de bain, elle s'assoit d'abord sur les toilettes, étape indispensable afin de bien commencer sa journée. Son affaire terminée, elle se remplit un verre d'eau, qu'elle vide en quelques gorgées concentrées. Quand le liquide traverse son corps, elle se sent déjà un peu mieux. Rien de tel qu'un peu d'eau pour se rafraîchir.
L'esprit moins embrumé, elle retourne s'asseoir sur son lit, après avoir ouvert une fenêtre pour aérer. Le courant d'air froid parsème sa peau de petits grains mais elle résiste. Attrapant son ordinateur, elle l'allume pour commencer sa journée et ce, avec ses mails et messages, comme à son habitude. Un sourire étire ses lèvres à la lecture de la réponse de son frère, avant qu'un pli soucieux ne vienne se créer entre ses deux sourcils : ses parents s'inquiètent de ce départ et de cette vie à l'autre bout du monde, se demandant comment elle va faire. L'angoisse latente a visiblement refait surface et elle met du temps à trouver les bons mots pour répondre à Léon. Dans son mail, elle lui demande de rassurer les parents, de leur dire qu'elle va bien, qu'elle a un toit au-dessus de sa tête et de quoi manger. Elle se garde bien de préciser qu'elle ne sait pas pour combien de temps encore, gardant ces préoccupations-là pour elle.
L'écriture l'épuise et quand elle appuie enfin sur le bouton « Envoyer », la matinée a déjà bien avancée. Elle est toujours dans son pyjama de la veille et se décide enfin à s'habiller. Quelque chose de simple et de confortable, qu'elle revêt après avoir fait son lit. Attrapant la pièce de théâtre qu'elle est en train de lire, elle s'installe de nouveau confortablement et replonge dans l'Italie de la Renaissance.
Une heure plus tard, elle referme d'un coup sec le livre, signant là la fin de sa lecture. Comme souvent quand les mots l'ont transporté très loin, elle reste un moment assise, le dos contre la tête de lit, le regard vague. Ses pensées vont et viennent comme les vagues qui viennent s'écraser sur la plage. Elle réfléchit, se remémore, se délecte, apprécie et savoure les pages qu'elle vient de lire. Quand elle a l'impression d'avoir suffisamment digéré, elle pose l'ouvrage sur sa table de chevet, pour se rappeler de le ranger plus tard dans sa valise. Puis elle se lève de nouveau et part à l'exploration de la maison.
Ce qui la frappe d'abord, c'est le silence. Vient ensuite l'odeur. Le parfum de Tom parcourt la maison et elle le suit, guidée par la fragrance. Celle-ci échoue dans le salon puis s'évapore. Durant ce bref trajet, Joanne a pu constater sa solitude : son colocataire n'était pas là, parti sûrement tôt dans la matinée quand elle dormait encore. Son estomac la pousse derrière le comptoir de la cuisine et elle se cuisine des pancakes pour le petit-déjeuner, un met qu'elle fait décidément de plus en plus depuis qu'elle est aux Etats-Unis. Armée de sa poêle et de sa spatule, elle réalise en trois-quarts d'heure une assiette pleine. Fière d'elle, elle est passée maîtresse dans la réalisation du petit-déjeuner.

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Those Ocean Eyes [FR]
RomanceJoanne Bouvier ne rêve que d'une chose depuis sa plus tendre enfance : devenir actrice. Mais pour le moment, elle se perd plutôt dans des études qui ne la passionne pas vraiment. Un job d'été plus tard, la voilà embarquée dans une aventure aux consé...