Chapitre 22

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Le cœur meurtri par ce dernier échange - elle n'ose pas imaginer que c'était réellement des adieux, Joanne sort de l'aéroport, traînant sa valise derrière elle comme un poids mort. De longues heures se sont écoulées depuis son atterrissage et la nuit commence à tomber sur la Cité des Anges. Il lui faut désormais trouver un endroit où dormir. Sa main se lève alors qu'elle attire l'attention d'un chauffeur de taxi pour que celui-ci la dépose un peu plus au centre. Elle y dégoterait un hôtel facilement.

Une recherche rapide sur Internet finit par l'amener en plein coeur du mythique quartier d'Hollywood. L'établissement ne paie pas de mine, ni de l'extérieur, ni de l'intérieur, mais elle s'en contentera. Le réceptionniste lui glisse les clefs de sa chambre dans la main, après qu'elle ait réglé pour trois nuits. C'est le temps qu'elle se donne pour récupérer, après quoi elle devra déjà se mettre au travail. Elle avance dans le couloir unique de ce bâtiment, à la décoration vieillotte et défraîchie. Sa chambre se situe au bout du couloir. Elle déverrouille le battant et marque un temps d'arrêt alors qu'une odeur de moisissure la frappe en plein visage. Comme un réflexe, ce dernier se tord en une grimace dégoutée et elle soupire. Puisque c'est ainsi, se dit-elle en entrant, refermant derrière elle pour éviter les intrusions. Elle abandonne sa valise à côté de la penderie en bois et se laisse tomber sur le lit. Mauvaise idée. Son dos rencontre une surface dure et elle laisse échapper un cri de douleur. Elle reste ainsi à gémir pendant quelques secondes, réalisant que le matelas avait l'épaisseur d'une feuille de papier, posée à même le sommier. La journée allait de mal en pis.

Mais elle ne se laisse pas abattre. Elle était arrivée à Los Angeles, la ville typique du rêve américain, celle qui faisait baver les Européens en quête de reconnaissance. Elle avait conscience de faire partie de ce groupe de personnes-ci, mais elle n'en avait cure. Au fond d'elle, elle savait qu'elle devait au moins essayer. Elle ne pouvait vivre le restant de ses jours avec des regrets. Aussi ne chôme-t-elle pas les jours qui suivent son arrivée. Elle endosse un premier rôle, qui lui sied à ravir : celui de touriste. Ses fidèles baskets au pied, elle parcourt le quartier à la recherche des attractions dont on vante les mérites. L'adrénaline lui donnait suffisamment d'énergie pour ne pas sombrer. Son sac sur le dos, un appareil photo jetable en main, elle mitraille le quartier le plus célèbre du 7ème art. L'avenue est bondée. Elle croise tour à tour des magiciens, des cosplayers, des sosies de stars mythiques d'Hollywood. Elvis Presley lui signe même un autographe. Dans ses rêves les plus fous, ce lieu n'avait pas cette puissance-là. C'est un monde fait d'effervescence et de mouvement. Cela lui donne le tournis.

Elle visite Beverly Hills le lendemain. Assise dans un des nombreux bus à touristes, elle regarde d'un air rêveur les propriétés gigantesques se succéder les unes derrière les autres. Caché derrière de hautes barrières ou murs, qui sait quel fantasque milliardaire sirote son cocktail au bord de la piscine ? Ce serait idiot de prétendre que Joanne ne caressait pas ce rêve, elle aussi. Les doigts de pieds en éventail, un verre à la main, le soleil sur sa peau. Rien à faire ni à penser. Juste profiter. Alors que le bus quitte les larges allées silencieuses, elle lâche un petit soupir d'envie.

Le matin du troisième jour, elle se rend dans un café, son ordinateur sous le bras. Tout en buvant à petites gorgées son thé vert, elle met à jour son CV et le traduit en anglais. Si elle veut passer la prochaine année ici, en Californie, il allait lui falloir trouver un travail. Elle se met donc à la recherche de petites annonces pouvant l'intéresser, un simple job alimentaire qui lui permettrait de payer les prochaines nuits d'hôtel et pourquoi pas, se dégoter un appartement pas trop cher.

Après quelques sollicitations, elle finit par pousser la porte du Bar « Paradise Bay », dans Santa Monica. Il est bientôt vingt-et-une heures, elle est épuisée et se promet une bonne douche chaude en rentrant à l'hôtel. Son CV à la main, elle s'avance vers le comptoir, tentant de se faire remarquer. Mais c'est le début du rush de la soirée et le barman se retrouve bientôt submergé par les commandes. Joanne tourne la tête pour observer autour d'elle : aucune trace d'un ou d'une serveuse pour aider le pauvre homme. Prise de pitié, elle plie son document pour le glisser dans la poche arrière de son jean et interpelle le malheureux.

Those Ocean Eyes [FR]Où les histoires vivent. Découvrez maintenant