Chapitre 25

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Le dimanche soir passe à toute vitesse. Il faut dire que plus ils avancent dans le temps, moins ils ont de clients et Joanne sent bien que la situation commence à se faire critique pour elle. Même si Marco ne laisse rien paraître, elle voit bien son inquiétude augmenter à mesure que son chiffre d'affaires baisse. Elle essaye de paraître la plus souriante possible mais elle sent son destin scellé. D'ordinaire, une telle pensée l'aurait effrayé. Elle en aurait même fait une crise de panique. Si elle se faisait virer, il ne lui resterait que peu de temps pour trouver un autre travail et ce n'était pas chose aisée, même à Los Angeles. Elle avait eu de la chance de se faire recruter ici.

Mais depuis la visite de Tom en fin d'après-midi, elle se sentait plus légère, sur un nuage. Elle ose rêver à nouveau. La confiance qu'elle met en lui ne s'explique pas : elle est là, c'est tout. Elle sait qu'elle peut mettre sa vie entre ses mains. C'est plutôt ce genre de pensées qui l'effraye. Auprès de lui, elle se sent à la fois forte et vulnérable. Il est capable de la faire progresser, certes. Mais ne pourrait-il pas être le motif de sa chute également ?

Le service se clore plus tôt que d'habitude, alors que le dernier client quitte le bar à peine un peu après minuit. Elle a déjà lavé le reste de la salle et il ne lui faut que quelques minutes pour rendre la dernière table rutilante comme un sou neuf. Derrière le comptoir, son patron paraît pensif. Il a ses deux mains posés à plat sur le bois et regarde ailleurs en se mordant la lèvre.

- Marco ? appelle-t-elle doucement. Tout va bien ?

Il secoue la tête pour sortir de son état de transe et paraît surpris de la voir encore là. D'un geste qui se veut assuré, il remet son torchon sur son épaule et croise les bras.

- Oui, bien sûr, rétorque-t-il avec un froncement de sourcils. Pourquoi ça n'irait pas ?

- Pour rien, répond-elle après un moment d'hésitation. Bonne soirée.

Elle avait haussé les épaules, comprenant qu'il ne fallait pas chercher plus loin ce soir. Son supérieur n'était pas du genre à se confier. Après des semaines à travailler l'un avec l'autre, ils n'avaient pas lié plus d'amitié que cela. Leur relation était purement professionnelle et si cela arrangeait Joanne, elle regrettait parfois de ne pas partager plus. Elle ne serait pas contre avoir au moins un ami ici, dans la Cité des Anges.

« Mais tu as Tom, maintenant », lui susurre une petite voix dans un coin de son esprit, alors qu'elle sort dans la fraîche nuit de cette fin de novembre. Elle grogne en réajustant sur ses épaules son blouson de cuir. Elle était frigorifiée mais la perspective de passer la journée qui allait suivre avec son chevalier londonien lui mettait un peu de baume au cœur. Au moment où elle pense à lui, son téléphone vibre. Sur l'écran s'affiche un message, indiquant une heure de rendez-vous, ainsi qu'une adresse, le tout accompagné d'un smiley sourire. Il n'en faut pas plus pour qu'elle soit contaminée à son tour. Demain commençaient ses cours d'arts dramatiques, avec un professeur particulier, rien que pour elle. Avoir hâte était une expression encore trop peu précise pour décrire ce qui la mettait dans un état d'allégresse telle qu'elle avait envie de danser dans la rue.

Comme attendu, la nuit est courte mais quand le réveil retentit, elle n'a pas cette irrépressible et habituelle tentation de le jeter contre le mur pour le faire taire. Non, cette fois, elle se lève de bon cœur, chose rare chez elle. Elle apprécie la chaleur de ses draps plus que quiconque et l'en sortir relève parfois du miracle. Mais pas aujourd'hui. Elle file sous la douche sans demander son reste, s'octroyant même le luxe de chanter sous le jet d'eau chaude. Ce jour-là, c'est Elton John qui est à l'honneur.

- Don't go breakin' my heaaart !

Elle se lâche à fond, emportée par une vague de bonne humeur qui semble lui coller à la peau, et encore plus avec cette chanson plus qu'entraînante. Elle sort de la cabine, essore ses cheveux dans une serviette puis enfile des vêtements chauds. Elle passe une vingtaine de minutes à sécher sa longue chevelure - elle ne veut pas prendre le risque de tomber malade en sortant dehors tant qu'elle est humide - puis finit par sortir de son antre pour se rendre directement chez Tom. Elle décide de prendre le métro plutôt que d'appeler un taxi car, même si l'adresse lui est inconnue, elle n'est pas sûre d'avoir les moyens de payer la course. Google Maps sera son ami. Le GPS la guide plutôt bien car elle finit par trouver l'endroit où loge Tom. Et quel endroit.

Those Ocean Eyes [FR]Où les histoires vivent. Découvrez maintenant