Chapitre 23

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L'excitation fourmille dans son estomac, au point de lui en donner des crampes. Elle a le regard fixé vers le plafond de son studio. Il fait encore noir, plus pour très longtemps cependant. Joanne a hâte. Elle a envie de vomir ses tripes mais elle a hâte. Aujourd'hui est son premier jour de tournage. Elle espère qu'il sera mémorable. Elle tourne la tête vers le réveil pour la millième fois depuis qu'elle est réveillée : il n'a avancé que d'une minute. C'est terriblement long, terriblement peu. Elle pousse un soupir et reprend la contemplation du crépi défraîchi au-dessus de son lit. Dans son esprit, elle s'amuse à dessiner mentalement les lignes des fissures, faisant passer le temps ainsi. Elle n'arrive pas à se rendormir mais ses pensées divaguent, l'emmènent loin.

Elle est là, à quelques pas seulement de cette première porte qui devrait lui en ouvrir beaucoup d'autres ensuite. Il ne suffit que d'un pas pour l'atteindre, un petit pas d'entrechat pour en toucher la poignée. Et pourtant, plus elle s'approche, plus son rêve s'éloigne. Elle danse de plus en plus vite, tend ses bras vers l'avant pour espérer effleurer le battant de ses doigts. Ses pieds se mettent à courir, elle commence à perdre son souffle. La course est effrénée, interminable. Elle a l'impression que ses poumons vont exploser. Enfin, au moment où elle semble se rapprocher, elle se jette en avant. Sa chute est rude. Son corps heurte le sol froid, dans un choc qui fait trembler tous ses os. Elle a l'impression d'être brisée en mille morceaux. Elle lève le menton pour jeter un dernier œil sur l'objet de ses convoitises. La porte se ferme et la lumière qu'elle promettait disparaît, la laissant dans l'obscurité. Le noir. Le silence.

Elle se réveille en sursaut, le cœur battant à ton rompre dans sa poitrine. Elle est désorientée, met un certain temps à reconnaître le séjour de son studio. Elle finit par apercevoir les chiffres du cadran de son réveil et lâche un juron. Elle est en retard ! Avec hâte, elle rejette la couverture qui couvrait ses jambes et s'enferme dans la salle de bain. La douche est rapide, le brossage des dents tout autant et elle ressort après quelques minutes à peine. Elle enfile un jean, un pull et une paire de baskets, attrape au vol son sac à dos et sort, sans prendre la peine de déjeuner. Son ventre grogne son mécontentement mais la nausée qui lui serre la gorge la conforte dans sa décision : elle ne peut rien avaler ce matin. C'est un moment trop important pour le gâcher en passant sa matinée aux toilettes.

Le trajet en métro lui semble interminable. Elle regrette de ne pas avoir dépensé un peu de ses économies dans un taxi pour cet évènement. Tout comme elle s'en veut de s'être rendormie alors que l'insomnie avait pris possession d'elle depuis une heure du matin. C'était comme si l'univers se liguait contre elle, en l'empêchant de réaliser son rêve. Debout dans la rame, elle laisse sa tête reposer contre la barre de métal à laquelle elle s'accroche. Son cauchemar revient la tourmenter. La sensation de vide avait été si forte, comme si quelque chose lui manquait. Un peu perdue, elle faillit rater son arrêt. Heureusement, la secousse annonçant l'arrêt du train la tire de sa mélancolie à temps. La réalité la rattrape. Elle commence à tourner aujourd'hui.

Elle jaillit hors du wagon, se rappelant qu'elle est en retard. Deux par deux, elle monte les marches de l'escalier qui la ramène à la surface. Elle se met à courir aussi vite que ses poumons le lui permettent. A cette heure-ci, les rues de Los Angeles sont encore relativement calmes. Elle réussit sans peine à traverser le boulevard pour terminer sa course au studio d'enregistrement où on lui a donné rendez-vous. L'espace d'un instant, Joanne se croit dans un film. A l'entrée, une barrière l'empêche d'entrer de manière libre et un vigile la regarde, avant de lui demander de décliner son identité.

- Joanne Bouvier, bredouille-t-elle à son intention. Je... Je suis figurante.

Son premier rôle. Oh, il n'est pas l'un des plus important ni le plus prestigieux. Elle risque même d'y laisser un peu de son amour propre. Mais c'est le premier pas dans la cour des grands pour elle. Ses premiers pas en tant qu'actrice. Qui sait, peut-être qu'un producteur la remarquera !

Those Ocean Eyes [FR]Où les histoires vivent. Découvrez maintenant