Those Ocean Eyes [FR]

Chapitre 42

La matinée a déjà bien avancée lorsque son chauffeur la dépose devant la maison. Son cerveau aurait bien voulu analyser sa performance mais un flou entoure son audition. C'était comme si sa mémoire lui jouait des tours. Agacée, elle rentre. Elle a bien envie d'aller se laver les cheveux, faire tout ce dont elle n'a pas eu le temps au réveil. Tout ça parce qu'elle s'est assoupie sur la terrasse. En parlant de la terrasse, elle entend un bruit provenant de là. Sur ses gardes, elle ouvre avec lenteur la porte vitrée du salon.

Ce n'est que Tom. Tom toujours torse nu, comme s'il n'avait pas froid. Tom en train de faire des pompes, de bon matin. Tom qui doit dessiner son corps pour son rôle dans le prochain blockbuster d'action. Tom qui s'aperçoit de sa présence et qui se relève, un sourire au visage. Il est en sueur, il a transpiré. Normal. Elle avale sa salive, se concentre sur son visage. Railleuse, elle tente même une blague :

— Tous tes T-Shirts ont brûlé ?

— Je ne voulais pas te piquer tous tes soutiens-gorges, rétorque-t-il sur le même ton, s'essuyant le visage avec une serviette. Tu veux me rejoindre pour une petite session de sport ?

Il n'y aucun sous-entendu dans sa voix, juste une question légitime. Soudain mal à l'aise, Joanne rougit et se frotte les bras, gênée. Ses bras qu'elle trouve soudain trop épais, pas assez fins, pas assez gracieux. Amelia était si belle, elle.

— Je ne... Je n'aime pas faire de sport, ment-elle. Et puis, j'ai un mail à écrire, prétexte-t-elle.

Elle a saisi la première idée qui lui est passée par la tête, se rappelant soudain qu'elle n'a pas encore écrit à son frère depuis son arrivée. Terminant la conversation, elle retourne à l'intérieur. Son colocataire, tenace, lui crie alors qu'elle traverse le couloir pour se rendre vers sa chambre :

— Et ton audition ?

— Plus tard, crie-t-elle en retour.

Elle retrouve le havre de paix qu'est sa chambre et par habitude, plus que par précaution, elle ferme la porte à clef. La voilà enfin dans le silence. C'est seulement là qu'elle remarque que sa tête bourdonne. Trop de pensées la parasitent. Il faut qu'elle évacue les non-dits ou elle va exploser. Elle ne pensait devoir faire face à des souvenirs peu glorieux d'elle-même ce matin. Oui, elle a eu des idées suicidaires quand elle était jeune. Elle ne sait pas pourquoi. Elle était juste mal dans sa peau, insultée au collège puis au lycée, pour un tas de raisons. On la trouvait trop grande, donc on l'appelait la girafe ou le dinosaure. Ses dents de devant étaient plus grandes que la normale, elle se voyait affublée du doux sobriquet de « lapin » - et ça n'avait rien de mignon. Elle était la plus douée de sa classe, on la désignait sous le nom « l'intello ». Un jour, parce qu'elle a eu le malheur de prouver qu'elle était, contre tout cliché, également performante en sport, on avait commencé à répandre la rumeur selon laquelle elle ne se lavait jamais. Elle avait eu en effet le malheur d'avoir mis un débardeur ce jour-là, alors que ses aisselles n'étaient pas parfaitement rasées. Elle s'en fichait mais les deux filles populaires de sa classe en avaient décidé autrement. Le lycée avait fini par en avoir vent et les choses se sont calmées mais le mal était fait. Beaucoup de choses l'avaient blessé et si elle avait eu le sport et la lecture pour se réfugier, parfois les émotions la dépassaient. Elle s'est mise à se détester, à détester ce que les autres pointaient du doigt chez elle. Même si elle n'avait jamais eu de problème avec sa taille ou ses dents avec ça, pas plus que sa pilosité corporelle. Seulement voilà, ils avaient cassé quelque chose en elle et elle les avait haïs d'avoir à ce point un contrôle sur son corps. Elle les avait laissé gagner et s'était ensuite détestée pour cela.