Chapitre 33

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Le bruit soudain la fait sursauter. Penaude, pâteuse, elle émerge difficilement de son sommeil, qu'elle regrette déjà. Elle peste contre la personne qui vient l'embêter à cette heure-ci, avant de voir sur l'écran de son téléphone qu'il est presque midi. Elle a dormi plus de douze heures sans interruption et peine à s'en rendre compte. Enfilant un pull par-dessus son pyjama, elle va ouvrir la porte, en l'entrebâillant légèrement. Elle la referme aussi en la claquant, le cœur soudain battant à mille à l'heure. Ces yeux-là, elle les aurait reconnus entre mille. Un coup timide se fait entendre, suivi d'un appel, auquel elle ne répond pas. Il répète son prénom, lui demandant de lui ouvrir. Elle lâche un juron silencieux. Comment se débarrasser de lui ? Elle était à la fois heureuse de le voir et en même temps, elle avait l'irrépressible envie de le gifler pour son comportement sans queue ni tête avec elle.

— Joanne, s'il te plaît, l'implore-t-il. J'aimerai te parler.

— Va-t'en, Tom, répond-elle d'une voix rauque avant de s'éloigner.

Elle espérait ainsi mettre le plus de distance entre elle et lui et le dissuader de rester. Mais c'était sans compter sa ténacité, une qualité qu'elle ne lui connaissait mais qu'elle découvrait aujourd'hui. Même séparé d'elle par une porte en bois, il tente de se faire entendre.

— Joanne, je suis désolé, dit-il, comme s'il souffrait. Je suis vraiment, sincèrement désolé. Je me suis comporté comme un idiot, je m'en veux.

Elle s'immobilise au milieu de la chambre, alors qu'elle était en train d'enfiler une des jambes de son pantalon. A-t-elle bien entendu ? C'était trop beau pour y croire. Elle hausse les épaules en continuant de s'habiller, sans répondre.

— Est-ce qu'on peut se parler, s'il te plaît ? En tête à tête ?

Le voilà qui reprend la parole juste au moment où elle termine d'enfiler son pull. Chaussettes aux pieds, chaussures à la main, elle hésite. Son cœur balance et elle ne sait que faire. Finalement, elle opte pour le silence, encore et toujours. Elle n'entend plus rien, il a dû se résigner à partir. Soupirant de soulagement, un pincement néanmoins dans la poitrine, elle se rend dans la salle de bain pour se coiffer. En regardant son reflet dans le miroir, elle croise son visage pour la première fois depuis un moment. Ce n'était pas dans ses habitudes de s'admirer dans la glace le matin. En général, elle se brossait simplement les dents puis sortait aussi vite qu'elle était entrée. Aujourd'hui, elle prend conscience d'un drôle de phénomène : elle a l'air malade. Ses cernes sont profondément ancrés sur son visage, deux demi-lunes violettes sous ses yeux noisette. Ses lèvres sont gercées à force d'être maltraitées, une fente la fait souffrir, juste au milieu de sa lèvre inférieure. Son teint est pâle, plus que d'habitude, comme si elle sortait de convalescence et que le sang avait du mal à recolorer sa peau. Après examen de son faciès, elle tâte son ventre. Il est moins gonflé qu'à l'ordinaire, comme si elle avait maigri. Oh, pas de beaucoup, mais assez pour qu'elle sente une différence. Elle n'avait pas remarqué jusqu'alors son manque d'appétit, alors qu'elle se considérait comme une grande gourmande. Toutes ces observations la conduisaient à la même conclusion, et elle n'était pas des plus joyeuses : elle déprimait. Son quotidien était devenu morne et inintéressant, rien ne la faisait plus vibrer comme avant. Léon avait raison.

Elle soupire, se passe un peu d'eau sur le visage comme si cela allait lui redonner bonne mine et finit par abandonner en se redressant. Son estomac gronde, lui rappelant qu'elle n'a rien mangé depuis son sandwich de la veille dans le train. Elle attrape sa veste, enfile son écharpe tout en ouvrant la porte de sa chambre... Et tombe nez à nez avec Tom. Elle se stoppe juste avant de lui rentrer dedans mais ils restent désespérément proches. Il finit par faire un pas en arrière et elle retrouve son souffle.

Those Ocean Eyes [FR]Où les histoires vivent. Découvrez maintenant