Chapitre 35

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Des souvenirs confus de la soirée lui reviennent par intermittence, alors que tout son corps se remet à peine des sensations qu'il lui a fait vivre. La tête appuyée contre la vitre du taxi dans lequel elle se trouve, elle repense à son toucher, sa main sur la sienne, s'imagine la voir monter le long de son bras, puis redescendre, puis recommencer, toujours avec la douceur dont il est capable. Elle se sent glisser légèrement sur son siège, à la fois mal à l'aise et si à l'aise en même temps. Elle remonte plus loin dans le temps et goûte à nouveau à ses lèvres, si belles, si habiles. Elle ferme les yeux, emportée par les sentiments et par l'euphorie du moment. Elle n'a même pas fait attention aux personnes qui se sont retournées sur son passage, au moment où elle sortait du théâtre. Oui, on la reconnaissait encore dans les rues de Londres mais à cet instant précis, elle n'en avait rien à faire. Plus rien n'avait d'importance sinon lui.

Elle réalise à peine qu'elle est déjà arrivée et il faut un appel un peu fort du chauffeur pour qu'elle émerge de son nuage. Les mains tremblantes, elle cherche dans son portefeuille de quoi le payer puis sort. Elle frissonne instantanément, de froid cette fois-ci. La différence de température est telle qu'elle a l'impression de tomber malade dans la minute qui suit. Entrer dans le hall de l'hôtel lui permet de retrouver un peu de chaleur mais déjà, elle perd les bénéfices des instants de félicités vécus pendant le film. Sa raison revient à grands pas. Elle tente de la repousser, tant qu'elle peut. Elle court presque jusqu'à l'ascenseur, sous le regard interloqué du réceptionniste. Elle appuie frénétiquement sur le bouton de son étage mais rien n'y fait : la machine est horriblement lente. Elle trépigne sur place, tape même du pied, claque la langue de désespoir. Mais c'est déjà trop tard. La tension, l'alchimie ont disparu, remplacées par son anxiété habituelle.

— Non, se lamente-elle, blessée par ses précédentes relations. Pas une nouvelle fois.

Elle ferme les yeux, se balance sur elle-même et sort comme une furie quand les portes s'ouvrent à nouveau. Elle se jette sur ses clefs et entre dans la chambre en refermant derrière elle. Elle se débarrasse de son manteau, qu'elle balance sur son lit, fait valser ses escarpins dans un coin de la pièce, où ils tombent avec fracas, et part dans la salle de bain. Elle se regarde dans la glace. Même sous sa couche de fond de teint, ses joues et son front sont rouges écrevisse. Ses yeux brillent plus qu'à l'ordinaire et ses lèvres paraissent plus gonflées. Elle se démaquille si rapidement qu'elle se fait mal à la peau. Puis, constatant qu'elle a toujours le cœur battant à tout rompre, elle se résout à prendre une nouvelle douche.

Ses cheveux se retrouvent noués au sommet de son crâne et elle fait couler de l'eau chaude. Le jet puissant masse son corps et elle se remet à divaguer. La vapeur tapisse les parois de la cabine et elle a l'impression d'en être la source. Sur toute la surface de sa peau, des petits nuages de vapeur se forment avant de s'envoler. Ses poils sont hérissés malgré la chaleur. Elle sent ses jambes qui commencent à trembler.

— Reprends-toi, Joanne, se murmure-t-elle à elle-même.

Si elle continue ainsi, si elle ne dompte pas ses pensées, elle va finir par se liquéfier sur place, consumée par le torrent de flammes qui gronde en elle. Elle se remémore sa voix, son souffle contre son oreille. « Retrouve-moi à l'hôtel ».

Sa main agit avant qu'elle n'en prenne conscience. Elle se saisit du robinet et tourne brutalement vers la droite. Elle lâche un grand cri quand le froid mordant la transperce. L'effet est radical, elle serre les dents tandis que sa température corporelle baisse d'un coup. Quand elle est totalement refroidie, que ce soit son corps ou son esprit, elle ferme l'arrivée d'eau. Elle sort, les membres durs, contractés après ce lourd traitement qu'elle leur a infligé. Elle se frictionne avec une des serviettes pour les détendre mais des coups à la porte réduisent tous ses efforts à néant. Elle est moins fébrile maintenant que ses fantasmes sont loin. Cependant, le savoir si proche la fait rougir à nouveau. Elle inspire un grand coup, crie un « J'arrive » et revêt un peignoir. Ses cheveux sont toujours en chignon désordonné et elle est démaquillée, néanmoins elle va lui ouvrir.

Those Ocean Eyes [FR]Où les histoires vivent. Découvrez maintenant