Chapitre 41

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Son reflet dans la vitre du taxi lui renvoie l'image d'une jeune femme fatiguée, pas maquillée, dont l'anxiété lui fait se mordre la lèvre. Celle-ci saigne et elle regrette maintenant. C'est trop tard. Elle a l'air malade, pâle comme elle est de nature. La Californie lui donnera peut-être quelques couleurs quand elle daignera s'exposer au soleil. Pour l'instant, elle ressemble à un vampire, le charisme en moins. Elle soupire, se frotte les yeux en étouffant un bâillement. Son nez se met à couler et elle part en quête d'un mouchoir. Passer la nuit dehors n'est pas franchement l'idée la plus maligne qu'elle ait eu et encore moins la veille d'un évènement si important. Ce n'est pas comme ça qu'elle va mettre toutes les chances de son côté. Elle doit se ressaisir et vite.

Trouver un autre endroit où vivre. Cela ne fait que deux jours, certes, mais la cohabitation entre elle et Tom mène à plus de disputes qu'elle ne peut gérer. Son bien-être en dépend. Si lui non plus n'est pas capable de comprendre qu'elle souffre d'anxiété, ce qui peut amener des crises récurrentes et parfois violentes, alors elle serait mieux toute seule. Au moins, la seule personne à qui elle pourra s'en prendre, ce sera elle-même. Elle doit se mettre à la recherche d'un appartement, un studio, une chambre de bonne, n'importe quoi qui possède un lit, une cuisine et une salle de bain. Elle ne demande pas plus, juste un toit pour vivre et quatre murs pour la protéger. Elle pourra toujours suivre les enseignements de l'acteur et de son équipe chez lui, elle prendra le métro, c'est quelque chose qu'elle a déjà fait. Mais pour sa sécurité, et celle de Tom, il est préférable que leur chemin se sépare.

Se faire des amis. Une autre idée jaillit dans son esprit, au moment où elle réalise qu'il est la seule personne avec qui elle a gardé le contact depuis des mois. Tous les autres n'ont été que de passage dans sa vie. Déborah ne lui manque pas du tout mais elle se demande ce qu'elle fait, depuis que l'été s'est terminé. Avec un petit pincement au cœur, elle pense à Louise. Elle revoit le visage de l'homme qui est venu la chercher, se demande s'ils sont heureux, maintenant qu'ils sont mariés. Sa rancœur a disparu, même si elle n'apprécie toujours pas avoir été un sujet de test pour la future mariée. Elle garde cependant de doux moments passés ensemble. Dans un coin de sa tête, elle se note de lui envoyer un message, juste pour s'enquérir de son état. Les autres employés de « The Last Summer », elle les a croisés durant l'avant-première et cela lui a suffi. Elle n'a pas d'affinités particulières avec ces gens-là. Plus elle passe en revue les personnes qu'elle a côtoyées durant les neuf derniers mois, depuis qu'elle a quitté l'école, plus elle se rend compte qu'elle n'a pas tissé de lien. Tom est l'exception. Elle ne sait quoi penser de cette conclusion. Est-ce bien, est-ce mal ? Se sent-elle seule, a-t-elle besoin de plus ? Joanne a toujours aimé la solitude, c'est vrai. Elle l'a très souvent choisi au détriment d'une sortie entre amis, par confort. A cause de l'anxiété aussi. Jusqu'à présent, cela ne l'avait pas dérangé, elle s'était sortie d'un cercle toxique, vicieux, et avait appris à respirer. Maintenant, cependant, elle émettait le souhait de rencontrer des gens. Et si possible, pour qui elle ne ressentirait pas une folle attraction à chaque fois qu'elle les voyait.

Cela aussi la heurtait de plein fouet, tandis que le taxi se retrouvait coincé dans les embouteillages du matin. Jamais de sa vie elle n'avait ressenti un besoin physique et émotionnel aussi fort pour quelqu'un. Jonathan, elle l'avait trouvé mignon, oui, et quand il s'était intéressé à elle, elle n'y avait pas cru. Elle s'était jetée dans ses bras avec la force du désespoir. Qui d'autre que lui allait un jour poser ses yeux sur elle ? Elle avait sa réponse désormais, ils avaient été plusieurs. Louise d'abord. Très douce, très patiente mais cachottière. Nicholas plus tard. Charmant au premier abord, mais un vrai pervers sous la surface. Et puis, il y a eu Tom. Méfiant, voire carrément odieux, avant de révéler un être au moins autant blessé qu'elle. Ils avaient besoin d'amour, tous les deux. Et c'était précisément ce qui l'effrayait, elle. Sûrement lui aussi, d'ailleurs, sinon il n'aurait pas demandé à garder leurs distances. Elle n'avait pas envie de se lancer dans une relation par besoin. Que se passera-t-il quand celui-ci sera assouvi ? Son manque de confiance en elle lui avait déjà causé du tort, elle ne voulait pas le laisser gâcher une autre de ses relations.

Those Ocean Eyes [FR]Où les histoires vivent. Découvrez maintenant