Chapitre XVIII

19 3 22
                                    

Rien que pour la tête que font les trois têtes couronnées qui me font face je ne suis pas déçue d'être ici. Mon Dieu, ça vaut le détour. Oui, je sais, les gens qui m'entourent ont la fâcheuse habitude d'être tarés, mais voir le choc que cela procure à autrui manque de me faire glousser. Je me tourne lentement pour contempler un spectacle dont je connais déjà la composition, le rythme et étrangement la conclusion. En fait, étrangement n'est pas le terme qui me vient sur le coup. J'aurais plutôt utilisé "douloureusement". Je regarde les cinq visages connus qui me font face dans l'encadrement de cette porte détruite, je sens mes cœurs eux aussi exploser. Sauf que l'explosion est pour moi bien plus agressive que celle qui a précédé. Je résiste à l'envie de fermer les yeux pour me laisser le temps de me reprendre. Parce que le temps, le monde, ceux qui le composent surtout, ne me laisseront jamais en profiter pleinement. L'immortalité ne vaut rien si le temps ne m'appartient pas. Un putain de cadeau empoisonné, que je n'ai par ailleurs jamais considéré comme un réel présent. La rage qui m'envahit me demande expressément une grande concentration pour la calmer. Aussi, je loupe le début de l'attaque frontale que mène Noctar. Mais pas la fin. Déesse ce que cette bonne femme divine est drôle.

– ... De toute façon, vous êtes comme tous ceux de votre espèce ! Vous vous pensez supérieurs à nous parce que vous êtes nés du bon côté, mais croyez-moi, il n'y a pas de bon côté, nulle part ! Bientôt, la guerre régnera chez vous, la Mort réclamera vos âmes et tous autant que vous êtes vous regretterez ! Vous regretterez d'avoir tourné le dos à l'Ombre qui vous guettait !

Il y en a qui sont vraiment borné... Je secoue la tête affligée, cette déesse ne comprend rien. Ils ne l'écouteront jamais. Ils vont lui répondre et se prendre une méchante rouste, j'en suis témoin, cette garce n'aime pas qu'on s'oppose à elle. Et, si je n'apprécie pas les imbéciles qui se disent mes amis et débarquent à l'improviste, je suis intimement persuadée que je supporterais encore moins leur mort si celle-ci, quelles qu'en soient la manière et la raison, devait se produire. Je lève les yeux au ciel, une fois encore, je vais devoir gérer ce merdier. J'ouvre la bouche et prends une grande inspiration pour commencer un plaidoyer pour sauver la peau de mes misérables "amis", quand une voix ferme et masculine s'élève :

– Arrête Noctar ! Ce genre de sermon et de menace insipides me donne envie de te renvoyer dans l'abîme d'où tu diriges tes affaires sans même un au revoir. Fais attention, très chère ancêtre.

Et bien ça alors ! Je suis choquée, par le ton froid d'Erèbe, par sa détermination, mais aussi par la menace létale que ses yeux projettent sur son aïeule. Il s'approche lentement de Noctar, d'une démarche souple et légère, pas celle d'un simple guerrier, oh, je ne sais pas comment, mais je peux vous affirmer que non, mais celle... Celle d'un véritable chasseur, d'un prédateur. Je croise son regard et tristement je comprends son changement brutal. Les Ombres couvrent désormais ses yeux d'un air gourmand et insatiable. Eh merde, on n'avait vraiment pas besoin de ça maintenant... Je veux lui hurler d'arrêter. Mais bien sûr, bien sûr, c'est trop tard. Une immense vague de pouvoir... Non, c'est même plus que ça. C'est carrément un tsunami. Engloutis la pièce. Le Feu de mes pouvoirs n'a pas tremblé, mais heureusement qu'il était-là, je vois au-delà de mon épaule que certains n'ont pas eu autant de chance. Je sens même certaines énergies s'éteindre, définitivement. Le pouvoir gluant et noirâtre qui prend tout l'espace autour de nous commence à devenir plus dense, plus menaçant... Erèbe est puissant. Il est colérique et puissant au-delà de ce dont ma riche imagination ait pu rêver. Je suis plongée dans mes réflexions intérieures, il faut que je trouve un moyen, quel qu'il soit, d'empêcher Erèbe de faire des choses qu'il pourrait plus tard regretter. Je sens l'affolement et la terreur envahir la pièce et le peuple qui la quitte précipitamment. Personne ne s'y trompe, l'affrontement risque d'être rude. La Reine se contente de reculer avec une expression faciale indéchiffrable. Agacée, je lève les yeux au ciel pendant que la déesse change de position pour être capable de se défendre et surtout d'attaquer. Ma peau paraît recouverte d'épines tant elle est à vif. La tension du pouvoir Sombre tente de s'imposer à moi et mon propre pouvoir y réagit automatiquement. Violemment. Mes pouvoirs se développent et m'échappent pour prendre leur place dans l'ombre. S'il y a un combat, je ne resterai pas en retrait. Je vais me battre. Je vais le sauver. Le sauver de lui-même.

Rubis - I. Renaissance Où les histoires vivent. Découvrez maintenant