Chapitre XIX

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Trois semaines plus tard, Rubis, Terres Neutres, Iris.

Mon regard est fixé sur le tableau numérique, ou magique je ne sais pas vraiment, en contre-bas. Mais je ne vois pas réellement ledit tableau, ni même les cours qui y sont inscrits. Le professeur — oui toujours le même, mais j'ai fini par m'y faire — parle de la sexualité vokoatote. Je suis sûre que le sujet, en temps normal, m'aurait beaucoup intéressée, j'adore apprendre de nouvelles choses concernant le corps dont la nature, ou plutôt ma lointaine ancêtre m'a dotée. Mais aujourd'hui, comme tous les jours depuis que nous avons fait le voyage retour il y a trois semaines environ, je ne suis pas à ce que je fais. Je n'arrive même plus à suivre le cours d'une discussion, mon esprit est pollué de tellement de peurs et d'interrogations que je ne fais que les ressasser. Cependant, même sans être à ce que je fais, je sens la pression constante du regard d'Yale. Je sais qu'il s'inquiète pour moi. Je sais qu'il désespère de me voir telle que je suis actuellement. Mais je n'arrive pas à faire semblant, je n'ai jamais su le faire. Je n'ai jamais appris à mentir, et aujourd'hui, quand je vois l'inquiétude dans son regard, mais aussi dans celui des autres du groupe, je m'en veux.

Je n'en peux plus. Le pouvoir commence à monter en moi. Ça m'arrive de plus en plus fréquemment ces derniers temps. Eh merde. Je me sens oppressée, je n'arrive presque plus à respirer. Déesse, de l'air ! Il me faut de l'air. Je me lève en quatrième vitesse et titube vers la sortie. La porte claque derrière moi et même cela ne me ramène pas dans le monde réel, putain de monde réel. Pourquoi est-ce qu'il faut que ce soit toujours sur moi que tombent les emmerdes ?

Je cours. Je cours en espérant mourir asphyxiée. Je ne peux plus continuer cette espèce de pièce de théâtre foireuse, sur laquelle je n'ai aucun pouvoir, qu'est ma vie. Je m'arrête au milieu d'un couloir. Je ne sais pas où se trouve la sortie. Un putain d'oiseau, voilà ce que je suis. Ce que j'ai toujours été, un maudit oiseau prisonnier d'une très jolie cage dorée. Je me tourne et tombe nez à nez avec une immense fenêtre. Au travers, le paysage coloré et indéniablement vivant m'attire, m'appelle. Brusquement, dans un geste plutôt stupide, je dois l'admettre, je lève la main fais exploser la vitre. Une alarme se met aussitôt à résonner dans les couloirs, mais je m'en tape. Je grimpe sur le rebord de la fenêtre. Une grande bouffée d'air emplit mes poumons et soudainement je me sens beaucoup mieux. Devant moi, le monde s'étend à perte de vue. Magnifique, regorgeant de tellement de possibilités que j'en aie le tournis. Il faut dire qu'à une pareille hauteur on se sent tellement puissant et en dehors du monde et de son espace temporel que c'en est grisant. Un rire puissant prend possession de moi et une allégresse dont je me croyais incapable emporte tous mes soucis au loin. Dans les nuages roses, je les imagine brûler dans l'astre rougeoyant qui gouverne cette immense espace qu'est le ciel.

Derrière moi, des bruits de bottes renforcées résonnent et me ramènent définitivement à la réalité. Je suis perchée à plus de trois-cents mètres de hauteur sur le rebord d'une maudite fenêtre. Mon regard se perd dans le lointain et violemment mon imagination me montre ce que deviendra cette magnificence naturelle si je laisse le monde s'entre-déchirer. Comment est-ce que c'est possible de tant détester des gens qui seulement quelques siècles plus tôt étaient pour vous comme des frères, ou des sœurs ? Une rage aveugle couvre mes yeux d'un voile sanglant. Devant moi, la forêt prend feu. Je sais très bien que ce n'est pas la réalité, mon instinct me le dit mieux que mes yeux, cependant je ne peux m'empêcher d'admirer avec répulsion ce spectacle morbide. Alors je ressens un pincement au niveau de la poitrine et toute ma rage disparaît. Malgré ça, le feu reste à danser devant mes yeux. Ce qui cause ma colère me saute ainsi au visage aussi brusquement qu'un poids lourd, j'ai peur, je suis littéralement en train de crever de peur. Parce que je ne peux pas supporter l'idée de ne pas réussir à installer une paix durable sur cette planète d'une beauté époustouflante, mais que je sais d'expérience qu'éviter un conflit est presque impossible lorsque les deux partis sont aussi terriblement convaincus d'avoir raison.

Rubis - I. Renaissance Où les histoires vivent. Découvrez maintenant