Il nous fallut presque une demi-heure irisienne pour retrouver nos Amoliars, allongés au sol. Inconscients. Affolée je me précipite vers Poliav dont l'immense crâne repose sur une roche d'une étrange couleur azur. Je lui murmure des paroles rassurantes alors que la voix d'Yale s'élève un peu plus loin.
- Tu ferais mieux de la soigner comme on nous l'a appris récemment, au moins ça servirait à quelque chose.
Je grince des dents. Cet homme - lorsqu'il est habillé - a le don pour me mettre les nerfs en pelote. Je lui réplique froidement :
- Ce n'est pas de ma faute s'ils sont dans cet état et je n'ai pas la moindre idée de comment les sauver.
Il me dévisage avec incrédulité et je comprends que j'ai dépassé les bornes. Mais je ne peux pas m'en empêcher. Il me faut un coupable.
- Parce que c'est de ma faute selon toi ?
Son attitude suffisante me donne des envies de meurtres.
- Qui d'autre ? Tu es le seul qui ait le commandement des armées de Terraïate, tu m'as diverti et fait en sorte que je lève mes défenses mentales et sois injoignable. Tu étais le seul à connaître cette putain d'auberge ! Comment veux-tu que je n'aie aucun soupons ?
J'ai fini ma phrase avec tant de rage et de violence que je m'en étonne moi-même. Avant de comprendre la douleur que je perçois au fond de mon âme. De mes cœurs. J'ai peur. Peur d'avoir raison à propos d'Yale. Peur qu'il s'en aille à nouveau. Peur de perdre mes amis, tous ceux à qui je tiens. Pourquoi est-ce que je ne suis pas une simple terrienne qui aurait à choisir son avenir, à vivre ses premières expériences, comme les autres ? Pourquoi est-ce que des instances supérieures m'ont retiré ses droits ? Au lieu de continuer à s'énerver avec moi, Yale semble se rendre compte que ma colère n'est pas seulement ça. Lisant dans mes pensées il s'approche et, s'agenouillant devant moi me murmure d'une voix rassurante :
- Je sais que tu as peur qu'il ne leur arrive malheur, et moi aussi. Mais on ne pourra pas changer les choses et réparer nos erreurs si on reste cloué au sol pendant qu'ils prennent le large avec nos amis.
Je pousse un long soupir, mais suis obligée d'admettre qu'il a raison. Je regarde les deux corps autrefois fiers de nos Amoliars, aujourd'hui réduit au simple état de chair désarticulée. Je me tourne vers Yale et lui demande avec une voix éteinte qui me fait horreur :
- Comment ? Comment est-ce que je peux les aider ?
Il observe encore un moment son animal avant de me regarder de ses grands yeux sincères.
- Le feu est le seul élément qui peut exister sans les autres, et si, comme tu le dis, il représente bel et bien la destruction, il est aussi le seul auquel on puisse accorder l'entière responsabilité de la vie. Sans la chaleur qui fait avancer chaque être vivant, ceux-ci n'en sont pas. Tu sauras quoi faire. Tu l'as toujours su. Alors que nous étions perdus devant l'étendue de nos pouvoirs, tu t'amusais à découvrir toutes les nuances du tien que tu maîtrisais déjà parfaitement.
Je me pince les lèvres en mourant d'envie de lui dire que je ne suis pas si douée que ça, et que si mon instinct m'a toujours beaucoup aidé, ce n'est pas lui qui m'a poussé dans ses bras. D'ailleurs, en y réfléchissant, c'était un acte stupide et irréfléchi. J'espère silencieusement que personne n'aura à souffrir de mon idiotie. Brusquement, un éclat magique apparaît en moi. Surprise, je ferme les yeux, laisse mon don se déployer comme les immenses et indiscernables ailes qu'il semble si bien représenter. Je plonge au fond de mon esprit, là où il prend racine. Un éclat dont je n'avais jusque lors pas conscience. Mon corps se détache lentement du sol. Je me détache de mon corps. Il n'existe bientôt dans mon monde d'un noir brumeux que cet éclat dont je ne sais rien. À droite et à gauche de moi des souvenirs avec les gens que j'aime défilent en superposition à ladite brume. Je voudrais m'y attarder, les regarder sans jamais arrêter. Mais je ne peux pas. Pas avant d'avoir découvert ce que cet éclat représente au juste.
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Rubis - I. Renaissance
ParanormalLe destin. Quelle belle connerie. Sérieusement, qui croit à ce foutoir ? Moi, en tout cas je n'y croyais pas. Je n'y ai jamais cru. Je suis une orpheline, abandonnée par ses parents. Mais ça on s'en fout. Parce que le problème c'est que, même s'ils...