Chapitre XXII

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Le royaume d'Amurisse étant vraiment loin de tous les autres nous sommes forcés de faire une pause deux jours après notre départ d'Alairia. Notre arrivée sur les terres du royaume de Terraïate nous garantissant la paix. Pour un moment au moins. Heureux d'avoir enfin l'opportunité de dormir dans un vrai lit, nous avons décidé de la saisir et de passer la nuit dans une très coquette auberge que nous a conseillée Yale.

Actuellement attablée dans la grande salle de ladite auberge, j'observe mes amis rire et plaisanter tous ensemble sans arriver à me concentrer sur ce qu'ils disent. Je suis carrément ailleurs. Je devrais sûrement être heureuse de me souvenir de qui je suis, de mon héritage, de tout ce que j'ai déjà vécu... Mais la vérité c'est que j'aurais préféré ne rien savoir. Ne rien savoir sur ce qui semble être inné chez moi, la volonté de tout détruire. Je me rappelle la haine que j'ai ressentie en voyant Yale partir quelques années plus tôt. Je n'ai pas su être simplement contente pour lui. J'ai été bouffé par la jalousie et la colère. Pourquoi faut-il que ce que je ressens soit toujours si négatif ? Pourquoi je suis incapable d'être tout simplement heureuse ? L'image d'un autre fantôme revient me hanter. Celui de l'homme que j'ai tué, du premier homme que j'ai tué. Et alors que je suis assise en plein milieu du milieu d'une auberge bondée et riante de monde, triturant dans mon assiette une nourriture dont je ne connais même pas le goût, je ne peux que me demander, me demander ce qui fait de moi quelqu'un de meilleur que cet homme. Et pourquoi est-ce que j'ai cru que j'avais le droit de décider s'il devait vivre ou mourir ?

Inspirant à fond, je me lève en faisant criser ma chaise ultra-design et jette ma serviette avant de me diriger droit vers la sortie. L'air frais nocturne me calme presque immédiatement. Je ressens tellement de confusions tellement de doutes et de colère. Elle est toujours là, la colère. Une colère dont je n'arrive pas à me détacher. Une larme d'impuissance coule sur ma joue et alors que je lutte contre, je sens le feu dans mon corps prendre une inspiration avant de se répandre brutalement dans mes veines. La douleur qui me ronge les os alors que je me bats pour garder ce maudit pouvoir en laisse est telle que je pousse un hurlement chargé de ressentiments, de peurs et de doutes. Je n'y arrive plus. Je vais exploser. J'ai tant d'émotions, je ne peux pas en trouver une pour toutes les contredire, je ne peux pas. Il est trop tard. Un brouillard bouillonnant s'échappe de tous les pores de ma peau et je devine mes réserves d'énergie baisser. Je sais que cette situation m'est déjà arrivée tantôt. Mais c'était sur Terre, où le fluide magique dont les Vokoatos peuvent se servir pour alimenter leurs pouvoirs est presque nul. Mais ici. Au beau milieu d'une planète dont le noyau lui-même est magique, je n'ai aucune chance d'arriver à contenir mon pouvoir.

Je pose un genou à terre. Un voile rouge recouvre ma vision. Mais je lutte, je lutte pour ne pas sombrer. Si je m'évanouis, maintenant plus rien ne contiendra mon pouvoir et ce sera la fin. Je ne suis même pas sûre que cette planète résiste à une explosion de mon pouvoir. Je ferme les yeux. Les souvenirs m'assaillent comme autant de coups de poignard. Et malgré toute la douleur et la haine que j'y ressens, quelque chose surpasse encore ces émotions. Quelque chose que j'ai voulu ignorer, enfouir, mais qui est toujours là, plus fort encore que la colère. Des bras m'encerclent et mon esprit se reconnecte avec le monde extérieur.

– Oh, Rubis, ma douce et belle guerrière, pourquoi faut-il que tu te fasses tant souffrir ?

Mes yeux s'ouvrent et se fixent par automatisme dans les tourbillons bruns dont sont composés ceux d'Yale. Il me caresse doucement le visage, effaçant sûrement les dernières traces qu'ont laissées mes larmes. Il m'allonge délicatement sur le sol meuble de la forêt dans laquelle j'ai pris refuge quelques instants plus tôt. Ma tête posée sur ses genoux il me frôle avec délicatesse les cheveux tout en me murmurant des paroles apaisantes. Voilà l'un de mes plus beaux souvenirs. Mon amour pour lui, notre amour de jeunes adolescents. Cet amour brisé dont je ne voulais plus même entendre parler. Cet amour qui m'a déjà tant coûté. Et qui aujourd'hui, alors que les yeux de mon ancien amant brillent d'inquiétude et de cette même flamme que celle que je ne pensais plus ressentir. Tendant la main, je touche du bout des doigts la barbe naissante qui lui ombrage la mâchoire.

Rubis - I. Renaissance Où les histoires vivent. Découvrez maintenant