Chapitre X

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Je cours. Mon souffle erratique chante à mes oreilles comme un son d'avertissement, un son mortuaire. Le sang sifflant de pouvoir bat à mes tympans. L'homme me course. J'entends ses pas non loin derrière moi résonnant étrangement dans le palais désert. Un rire léger me parvient et je sens mon estomac se remplir de papillons alors que mes jambes peinent à me soutenir. La noirceur ambiante ne me paraît plus effrayante. Je me sens bizarrement à ma place au milieu de toutes ses ombres. L'homme murmure en une langue ancienne. Une langue différente du Vrikir. Bien plus puissante. Bien plus ensorcelante. Bien moins vivifiante, beaucoup plus menaçante.

Brusquement, les ombres auparavant inoffensives se mettent à m'entourer de manière alarmante. Je sens leur présence froide. J'entends leurs chuchotements angoissants et horriblement familiers. Je sens leurs griffes m'agripper. Je tombe. Le sol est froid. Froid comme tout ici. Les noirceurs de l'absence de soleil m'empêchent de puiser dans mon pouvoir pour me défendre. Je suis seule. Désarmée. Faible comme je ne pensais jamais l'être. Mon corps est parcouru de frissons glaciaux pendant que le jeune homme s'agenouille à ma hauteur.

– Ne t'en fais pas Aliam, je jure que rien ne te fera jamais de mal. Même la profondeur de ma noirceur intérieure. Un jour je t'offrirais les ténèbres. Et tu me donneras la lumière.

– Ne m'oublie pas ma belle guerrière de lumière.

Ses lèvres épousent mon front dans le plus doux et léger des baisers. Le monde se met à tourner et la dernière chose que je capture de cet étrange moment est le reflet parme lumineux que lance le regard magnétique de l'homme.

°○°○°

Mon rire retentissait encore dans l'immense espace clos. Sa voix grave me contait à nouveau des histoires improbables de sa vie d'avant. De sa vie avant le camp d'entraînement. La plupart de ces anecdotes sont clairement à mourir de rire, mais son ton volontairement léger n'a pas suffi à me tromper. Il souffre de ne plus être avec les gens qui animent ses souvenirs. J'ai senti en lui un creux. Un vide. Un vide qui fait écho à celui que j'ai toujours senti au fond de mon cœur et que ne m'avait pas préoccupée avant mon arrivée sur cette planète. J'ai grandi avec ce trou. Comment aurais-je pu savoir que je devais m'en inquiéter ? Qu'il serait à l'origine de tant d'emmerdes ? Je revois son sourire tendre pendant que je lui expliquais en quoi ma vie sur Terre consistait. Pour la première fois depuis un certain temps je me suis autorisée à repenser à la joie simple que je connaissais tous les jours sur la planète bleue. Au rire à tous les instants du jour et parfois de la nuit. Je lui ai parlé du manque qui remplit par moment ma gorge de bile. Et il m'a écouté. Ses mains jouant avec mes cheveux alors que ma tête reposait sur ses genoux. Je me rappelle avoir étouffé un sanglot en lui parlant de la douleur que mon cœur porte depuis que j'ai été forcée de quitter l'orphelinat. De la violente culpabilité qui me mord le ventre à chaque fois que je pense à la maudite nuit où ce départ s'est décidé. Silencieusement des larmes ont commencé à couler le long de mes joues laissant Yale apercevoir la profondeur des blessures que j'ai voulues dissimuler sans prendre le temps de penser à les guérir en premier. Je l'ai regardé au fond des yeux. J'ai vu comme ma peine le blessait aussi. Mais je n'ai vu aucune compassion. Aucune pitié. Alors je l'ai laissé s'approcher de moi. Je l'ai laissé s'emparer de mes lèvres. Je lui ai rendu son baiser alors que les larmes le rendaient salé et lui donnaient une dimension bien plus intime que celui déjà partagé auparavant...

Rubis !

Je sursaute devant le ton accusateur de Rynuvia.

– Qu'y a-t-il Rynuvia‌ ?

L'esprit pousse un long soupir d'exaspération.

Il faut que tu te concentres plus sur tes cours et moins sur Yale. Aujourd'hui est un jour important et tu parais constamment ailleurs.

Rubis - I. Renaissance Où les histoires vivent. Découvrez maintenant