Chapitre XXXI

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Le soleil. Le véritable soleil, Hillior. Se couche à l'horizon. J'observe distraitement ses lumières se refléter sur le sol rougeoyant de la salle du trône. Ça fait deux semaines. À peine deux semaines que je suis à Amurisse. À peine deux semaines que j'ai quitté la planète sombre et avec elle Erèbe. Et il ne se passe pas un jour sans que je pense avec tristesse à cet adieu déchirant.

– Tu dois prendre soin de toi Rubis.

Je le regarde. Nous sommes sur le mont qui domine Ygora. La vue est splendide. J'ai laissé mes amis partir en avance avec pour excuse que je devais encore régler certaines choses. Ce qui, dans un sens, est vrai.

– Seulement si tu me promets de faire la même chose.

L'idée qu'il lui arrive malheur me rend véritablement folle. Maudites hormones.

– Le monde t'attend ma belle et bientôt, grâce toi nous en ferons partie. Nous ferons partie du monde.

Oui, mais quand ? Et à quel prix ? De ce que j'en ai vu les Vokoatos sont bien plus acariâtres et rancuniers que beaucoup d'humains qui excellent dans cette catégorie.

– Tu auras beau faire partie du monde, nous ne pourrons jamais être ensemble. Tu t'en rends bien compte ?

Je voulais être sûre qu'il comprenne, qu'il se rende compte que rien n'avait changé entre nous. Que nous nous étions battus, que nous avions vaincu, mais que cela s'arrêtait là. Il a pris un instant.

– Oui, je m'en rends compte. Cela peut paraître injuste. Mais l'injustice est une réalité à laquelle, même nous, souverains,
ne pouvons-nous soustraire.

D'après moi, ce n'était pas de l'injustice. C'était juste une profonde incompatibilité.

– J'espère que tu finiras par atteindre un certain bonheur. Que tu auras des sources de joie.

Nous sommes restés encore un moment silencieux. Contemplant la lumière rouge du soleil abreuver les terres, faire revivre le l'eau, vibrer l'air.

– Ce bout d'Hillior ne durera pas éternellement.

Je lui ai fait remarquer.

– Je sais. Quelle est ton estimation ?

J'ai fait une moue.

– Un an. Peut-être plus.

– Et que se passera-t-il alors ?

– Tu m'enverras un texto et alors nous prendrons une décision.

– Entre quelles propositions au juste ?

– Cela dépendra de l'avancée des mentalités sur Iris. Soit amener un autre fragment... Soit rouvrir définitivement la Barrière...

Il me regarda un long moment, les yeux troubles.

– Un an... Je pense qu'ils ne seront pas prêts.

Il venait d'exprimer à haute voix une de mes plus grandes craintes. Et si Iris n'était pas prête pour un tel changement ? La dernière phrase que je lui ai dite alors avant que nous nous séparions définitivement est celle-ci :

– Je pense qu'il ne faut jamais avoir la prétention de penser pouvoir prévoir l'avenir, car personne. Pas même les Déesses. N'est capable de le faire avec précision. Ne sous-estime jamais le pouvoir apaisant qu'a la paix sur les esprits les plus torturés. Tu aurais tort.

J'aurais sûrement dû lui parler des sentiments qu'il m'inspire, de la douleur que je ressens à être loin de lui... Mais je sais que ça n'aurait pas été juste. Ses sentiments sont aussi réels que les miens et les encourager alors qu'ils sont impossibles aurait été de la torture inutile. Alors, assise sur mon trône dans une salle déserte et silencieuse pour la soirée je me torture sans cesse. Je pense à ma vie. Aux décisions qui m'y ont conduite. Je passe la plupart de mon temps libre à m'entraîner. À obtenir l'éducation qu'on ne m'a jamais dispensée. À me battre pour devenir une guerrière émérite. Capable de protéger son peuple. La vérité c'est que je me garde toujours une heure le soir, au coucher du soleil. Au moment où tout devient couleur de sang dans la salle du trône. Et pendant cette heure-là j'oublie qui je suis, mes responsabilités, mes problèmes, mes devoirs, les réunions, mon emploi du temps... Il ne reste que moi. Moi et mes souvenirs. Ceux de la Terre y figurent en bonne place. Ces moments d'insouciance, de gaieté. Je me rappelle que je rêvais d'aventure à l'époque. Je rêvais d'un monde par delà l'azur du ciel. Ce que j'avais ne me suffisait pas. Cela ne m'avait jamais suffi. Je me souviens des heures d'entraînement passées dans la clairière avec mes amis. Des rires, des disputes. De l'espoir. L'espoir de voir cet autre monde qui m'avait tant fait rêver. Je voulais fuir. Fuir la guerre que je voyais partout. Cette guerre qui me terrorisait. Qui me faisait détester le monde entier. Pourquoi est-ce qu'ils se battent, mais ils sont cons ? Je me rappelle tous les moments plus doux que j'ai passés avec mon amant, avec Yale. Je me rappelle de ces moments simples où l'on se baladait dans la forêt près de l'internat. Quand on s'embrassait timidement sous le couvert protecteur du saule pleureur. Je revois ma vie. Je revois mes espoirs déçus, mes choix passés. Je remets tout en question et cela me fait mal quelque part, mais d'un autre côté c'est ce qui me permet de ne pas sombrer...

Rubis - I. Renaissance Où les histoires vivent. Découvrez maintenant