Chapitre 2 : D E S T R O Y

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"Hey gamin tu te dépêches ? On n'a pas tout la journée !" Crie mon patron, son casque de chantier sur la tête.

Je me lève pour le rejoindre, et il me met une masse entre les mains.

"Aller. Fait tomber ce mur là."

D'un geste vague du bras, il me montre ladite surface. Je m'approche, soulève la masse, et de toutes mes forces, je m'acharne sur ce pan de mur.

Depuis qu'Andrea est parti, je n'ai plus eu la force de retourner en cours pour voir toujours les même visages, toujours les même endroits qui me ramenaient encore et toujours à penser au châtain. Je ne pouvais juste pas. De toute façon, j'avais déjà décroché, et toutes ces leçons que je ne comprenais pas me noyaient. Alors j'ai juste arrêté. J'ai pas passé mon bac et j'ai perdu ma bourse, j'ai du quitter mon job à mi-temps dans un petit bar, pour quelque chose à temps plein, pour compenser la perte de revenus due au retrait de ma bourse. De toute façon, j'ai aussi changé de ville. Enfait, si j'avais pu, j'aurais aussi changé de vie... Rayé d'un trait la précédente pour entamer la suivante. Mais c'est impossible, et l'image du châtain, en sang, qui dégringole sur le sol de sa salle de bain ne cesse de me hanter... Et je me retrouve là, dans cette entreprise de démolition, à détruire des bâtiments autant que qu'il a détruit mon coeur, juste quand je venais de prendre conscience que j'en avais un. Et finalement, peut-être que jamais le papillon ne quittera le bocal, parce que même brisé, il y reste enfermé. Parce que sans Andrea, c'est comme si je n'avais plus d'air pour respirer, et alors qu'importe que je sois à l'intérieur ou à l'extérieur du bocal, je souffre d'asphyxie, j'étouffe. Et plus je frappe sur ce mur, plus j'ai l'impression de que tomber, de tomber dans le vide, dans un gouffre sombre et hostile, ignorant tout du moment de l'impact, sauf la douleur qu'il causera.

Et tous les jours, c'est là même chose, je me lève tôt et rentre tard, parce que je veux à tout prix éviter d'être seul et de penser, alors je travaille comme un damné, même sans être payé pour mes heures supplémentaires, et quand vraiment mon patron n'a plus de boulot pour moi, je sors, là où je pourrais m'abrutir avec de l'alcool, ou quelque autre substance, et écouter de la musique si forte que je ne m'entends plus penser. Parfois, le matin, je me réveille dans des bras ou simplement des draps inconnus, sans souvenirs de la veille, et chaque jours ça recommence.

Et finalement, je finirais peut être comme mon père, bien loin de mes projets d'étude ou d'avenir pour ne pas lui ressembler... Zola n'avait peut-être pas tort avec sa théorie de l'hérédité...

Putain.

Je défais les boutons de ma chemise avant de la faire glisser sur mes épaules, face à mon casier dans le vestiaire de l'entreprise. Je me change rapidement, ignorant mes collègues, déclinant chaque soir leur offre d'aller voir un coup tous ensemble. Je ne veux pas créer de liens affectifs, tout cela, c'est du poison. Et puis de toute façon, je sais que si certains me proposent réellement de les accompagner, la plus part d'entre eux ne le fait que par politesse et est plutôt soulagé que je refuse.

Je rentre chez moi à pied, l'essence courant trop cher en ce moment pour que je prenne ma voiture, et le temps étant encore assez clément pour que je ne prenne pas le bus. Ma voiture est la seule chose que je n'ai pas réussi à vendre. Elle est bien trop importante. Pourtant, à chaque fois que je monte dedans, je ne peux m'empêcher de revoir le châtain sur le siège passager entoure de mon plaid à carreaux, trempé et grelottant de froid, ou encore m'harcelant pour aller prendre un gaufre au parc. Et ça me rends malade.

Je rentre dans mon minuscule appartement, juste pour prendre une douche, me changer et nourrir les animaux, et je ressors aussi sec. Rapidement, je deverouille mon téléphone pour trouver une soirée dans le coin. J'essaye de ne jamais croiser les même visages, de peur qu'ils ne se mettent à penser que nous sommes amis. Je passe au petit super-marché nocturne du coin de la rue pour acheter quelques canettes de bières, me surprenant même à penser que Carl, le vendeur à qui j'achetais mes cigarettes et mes chewing-gums à la fraise me manque, un peu. Il était toujours souriant, pas comme celui d'ici qui tire toujours une tronche de quinze culs, au moment de m'encaisser.

"8,30€" dit-il, de sa voix monotone et agaçante.

Je soupire, tout aussi peu enjoué à l'idée de commercer avec lui, et glisse la monnaie sur le comptoir, le reste de ma paye du mois. Je prend mes bières, les fourrant dans mon vieux sac à dos et me dirige vers le bâtiment qui abrite la soirée. C'est tellement bondé que personne ne me remarque arriver. Enfin quelques filles m'ont peut-être montré du doigt en gloussant bêtement, mais je les ai juste ignoré.

J'ouvre une première bière, et la bois rapidement, assis à côté d'une des enceintes énormes, crachant un son de mauvaise qualité, mais ayant au moins le mérite de couvrir le bruit de mes propres pensées. Les bières s'enchaînent quelques cachets aussi, jusqu'à me retrouver presque en transe, bien loin de moi-même. Et c'est totalement ce que je recherchais. Je voulais me perdre. Totalement. Loin de moi et de mes pensées.

Et au milieu des lumières, à l'autre bout de la salle, je vois une masse de cheveux châtains, bougeant de droite à gauche au rythme de la musique.

Sans réfléchir, ni une ni deux, je traverse la salle, tanguant légèrement, poussant quelques personnes sans y prendre grade, comme affolé alors que je rejoins la silouhette qui semble s'éloigner comme happée par la foule, au fur et à mesure que j'avance. Je pousse un garçon aux cheveux bicolores et bouclés qui manque de tomber, renversant son verre sur un autre garçon, et j'attrape le poignet de la personne que je poursuit, le cœur battant à la chamade.

"Andrea ?" Demandé-je la voix tremblante et mal assurée.

"Euh non, vous devez faire erreur." Me répond une voix féminine.

Je baisse alors les yeux sur la jeune fille a qui je tiens toujours le bras, et je me rends compte d'à quel point je suis malade d'Andrea.

Je le vois partout et surtout n'importe où. Je jette un dernier coup d'oeil à la jeune fille, à sa jupe anthracite surplombée d'un t-shirt trop grand d'un t-shirt où l'on peut lire les célèbres mots de Bob Marley "Get up, stand up, don't give up the fight" et surtout, elle possède une généreuse poitrine. Et définitivement, non, à part ses cheveux clairs, elle n'a vraiment rien de mon châtain.

"Hum... Tu pourrais lâcher mon bras s'il te plaît ?"

Je regarde ma main, toujours serrée sur son fin poignet.

"Euh ouais, ouais pardon..." bégayé-je lamentablement.

"Tout va bien ?" Me questionne la jeune femme, penchant la tête sur la droit et plongeant son regard charbonneux dans le mien.

"Ouais. C'est bien. Encore désolé."

"Y'a pas de mal. Bonne soirée." Sourit-elle avant de retourner danser avec ses amies.

Aussitôt, je me précipite vers l'extérieur, avec l'insupportable impression d'étouffer. Je me retrouve sur le trottoir à cracher mes poumons, incapable de reprendre mon souffle. Certaines personnes m'ont devisager un instant avant de retourner le regard, me prenant -pas vraiment à tord- pour un de ces kamés qui traînent encore sur les trottoirs le matin venu. Et cette indifférence me lève le cœur. C'est à cause de cela que certains accidents arrivent. Que des jeunes mal dans leur peau décident d'en finir. Je n'en ai pris conscience que trop tard.

Malheureusement...

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Kisu

Avec amour et dévotion,

ParadoxalementParadoxale.

𝐴𝑢 𝑚𝑖𝑙𝑖𝑒𝑢 𝑑𝑒𝑠 𝐸𝑐𝑙𝑎𝑡𝑠, 𝑝𝑜𝑢𝑠𝑠𝑒𝑛𝑡 𝑞𝑢𝑒𝑙𝑞𝑢𝑒𝑠 𝑓𝑙𝑒Où les histoires vivent. Découvrez maintenant