Connor
Quand il m'a demandé de partir je l'ai fait. Je ne voulais pas insister sur le moment. J'ai passé ma nuit à marcher au hasard jusqu'à trouver un banc dans un parc où je me suis assoupi quelque temps. J'ai été réveillé par les cris joyeux des enfants qui jouaient sur l'aire de jeux plus loin. Ce spectacle m'a donné envie de hurler. Parce que j'étais jaloux de voir des gens heureux.
Sur moi, je n'avais plus rien mis à part mon porte-feuille contenant les quelques billets récoltés en vendant la marchandise de Travis plus chère que d'habitude. Je ne lui ai pas dit évidemment, ni aux autres. J'ai fait ça en toute discrétion. Il me doit bien ça ce pourri. J'ai tout perdu à cause de lui. Dans ma poche intérieure me narguaient les joints qu'il m'a laissé puis un morceau de papier avec le numéro de Judith. Si elle me voyait elle me collerait une raclée j'en suis certain.
Je suis allé dans un petit magasin me prendre de quoi grignoter et j'ai marché jusqu'à chez lui. Une dame qui habite ici m'a informé qu'il était parti. Visiblement elle n'a pas entendu ou ne sait pas que le bordel d'hier soir était de mon fait. Je lui ai demandé si elle avait la gentillesse de me prêter un stylo et de me donner de quoi écrire et j'ai glissé un mot dans sa boîte.
Et ça fait des semaines que j'attends. Soit il l'a lu et s'en fiche, soit il l'a jeté en voyant mon nom au bas de la feuille. Je ne lui en veut même pas. J'aurais dû me montrer plus fort que Travis et ne pas me laisser faire. J'ai retrouvé mon ancien refuge. Ça m'a fait bizarre d'escalader et de me revoir entre ces murs où j'ai squatté pendant deux ans. Tout était encore là. Les vieux sacs de couchage, les reste de bouffe dégueulasse et une odeur de mort. Mais c'était mieux que rien. Alors j'y suis resté.
Au début, j'allais me doucher dans un petit foyer mais très vite j'ai compris que je devais arrêter quand des gars de ma connaissance traînaient dans les parages. On ne sait jamais. Travis n'a pas cherché à me retrouver mais qui sait si ça ne lui viendra pas à l'esprit bientôt.
Du coup j'ai fait avec les moyens du bord. J'ai acheté des bouteilles d'eau, du savon, une brosse à dents et du dentifrice. Le sac où j'avais mes affaires étant toujours chez Travis je n'avais pas le choix. Malheureusement l'argent m'a vite manqué. Comme les joints que je fumais. Je n'avais même plus de cigarettes et les rares passants que je croisais qui avaient la gentillesse de m'en filer une ne suffisaient pas. Alors, honteux d'en arrivé là à nouveau, j'ai volé. Pour survivre.
Je changeais toujours d'endroit mais mon état physique est devenu lamentable. J'étais crasseux de la tête aux pieds et quand on me voyait ce n'était plus de la sympathie pour un gamin en manque de nicotine que les gens éprouvaient. Du dégoût pur et dur, voilà ce que j'inspirais aux personnes qui croisaient ma route. J'avais honte de moi, honte d'être devenu pire que je ne l'ai jamais été. Chez Isaac et en cure, j'avais un lit propre et confortable, de quoi me laver et me nourrir correctement. Tout ça m'a fait reprendre goût à un confort qui m'a de nouveau été arraché. J'en suis le seul responsable mais ça n'empêche que je déteste cette situation.
Quelques fois, le soir, je me rendais jusqu'à chez lui. De la fenêtre je voyais la lumière allumée et je savais qu'il était là. Parfois, je me cachais dans la ruelle en face du poste de police juste pour le voir. Même si je pensais que lui m'oubliait, qu'il ne voulait plus jamais me voir, moi j'en avais besoin. Je n'aimais pas ce que voyais. Son visage qui semblait usé et triste. La petite barbe qu'il avait laissé pousser, les cernes sous ses yeux... Ce n'était plus mon Isaac, je m'en voulais aussi pour ça. Mais c'était ma faute si j'étais seul. Dès que Travis s'est approché de moi j'aurais dû esquiver.
Ce soir, ce que je vois est pire. Je sais que Parker a réussi. Il l'a eu. Le voir le tenir de cette façon et pire entendre le rire d'Isaac me donne envie de vomir. J'ai été remplacé. Par bien mieux que moi. J'aurais dû m'en douter. Je traîne des pieds et entame ma partie d'escalade avec de moins en moins d'agilité, je n'ai pas mangé depuis deux jours et suis à bout de force, pour retrouver ma couchette.
En me réveillant, j'ai la nausée. Je n'arrive même pas à vomir parce que mon estomac est vide. J'attrape la bouteille d'eau que j'ai réussi à dissimuler dans la manche de ma veste il y a deux jours. Une 50 CL. Je n'ai bu que quelques gorgées pour pouvoir la garder le plus longtemps possible. Je tremble, j'ai des sueurs froides. Je ne me sens pas bien. Je titube quand je me mets debout. Il faut que je trouve un truc à manger maintenant.
Je me fais discret tout en marchant dans la supérette. Ce n'est pas la première fois que je viens ici. J'ai peur qu'on ne me foute dehors à cause de ma dégaine mais ça a l'air de passer. Je regarde dans tous les coins et fait glisser dans mes manches des boissons énergisantes. Ça me requinquera peut-être. Mon estomac gronde devant toute cette bouffe a portée de main. J'avance toujours avec précaution et fourre un paquet de chips dans ma poche. Je grimace. J'ai fait trop de bruit. Quand je vois tous ces paquets de biscuits je deviens fou. Ça fait trop longtemps que je n'en ai pas mangé. J'en cache dans ma veste mais c'est trop tard. Je suis grillé.
-Tu vas payer ça tout de suite.
Comment te dire...
-Si je les vole c'est que j'ai pas de thunes pour payer du con ! Je réponds d'une voix lasse.
-C'est pas mon soucis.
-Tu vas faire quoi appeler les flics ? Au secours la police aidez moi ! Un mec de vingt ans sans domicile vient de me voler des cookies parce qu'il a la dalle et qu'il a pas de quoi payer !
Je me fous de sa gueule. J'attends, je le toise de haut en bas. Je n'ai plus rien à perdre de toute façon.
-Exactement oui ! Ton état ne justifie rien !
-Va te faire foutre ! Tu sais pas ce que c'est ! Je hurle en donnant un coup de pied sur l'étagère devant moi.
Je regarde sans émotions les produits tomber les uns après les autres dans un grand fracas.
-Oops. Ça te fera une bonne raison de les appeler maintenant.
Quand il m'attrape pour m'empêcher de faire plus de dégâts et qu'il lâche un "tu pues sale clochard" plein de dégoût c'est le truc de trop. Je me débats comme un beau diable et je fracasse tout ce qui est à ma portée. Comme si j'avais le choix putain ! Je vendrais ma mère pour une douche. Tout ça pour un putain de paquet de biscuits de merde ! À bout de souffle, je me laisse tomber sur le sol et prends même le culot de boire la canette de Red Bull qui se trouve dans ma manche gauche. Je pourrais en gémir de bonheur. J'attends la police qu'il a appelé. Je n'ai rien d'autre à faire. Ça ne sert à rien de s'enfuir et puis je n'en ai pas le courage.
-Ah voilà la cavalerie ! Dis-je en ricanant quand je les entends entrer.
Je ne reconnais pas la voix du type qui parle avec le gérant mais je sais qu'ils sont deux. Un seul suffirait à me maîtriser. Un gosse de huit ans pourrait me maîtriser vu mon état de loque humaine.
-Debout.
Mes épaules se redressent. Je suis dans le pire état que j'ai jamais été et, comme par hasard, c'est lui qu'on envoie. Qu'est-ce qu'il va penser en me voyant comme ça ? Sûrement que je n'ai que ce que je mérite.
-Isaac...
-Oh merde ! Grogne le collègue, ce con de Parker. On fait quoi mec ?
-On l'embarque, dit Isaac fermement. Il a volé et foutu le bordel.
-Ouais mais... C'est...
-Je sais bien qui c'est oui merci ! Crie-t-il me faisant légèrement peur.
-Allez, on y va.
Il m'attrape par le bras et me pousse à sortir. Je me débats du mieux que je peux en le priant de me laisser m'en aller. Si je me retrouve au poste, son père verra qu'il avait raison de me détester la première fois qu'il m'a vu. Je veux juste m'en aller et crever dans un coin. Seul comme je le mérite. Sauf qu'il ne me lâche pas.
-Je voulais juste manger, sanglotai-je pitoyablement dans la voiture.
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Give me hope
RomanceConnor est un jeune homme rejeté par sa famille à cause de son homosexualité. Il vit dans la rue entouré d'autres jeunes perdus. Travis, fait ce qu'il veut d'eux en échange d'argent ou de drogues pour les plus accros. Isaac est un jeune policier à...