Aurélien était en train de marcher dans la rue, les yeux dans le vague et une moue triste sur le visage. Aujourd'hui, on était le premier août. C'était le jour de son anniversaire et ce jour marquait ainsi celui de ses trente-sept ans. C'était pas vraiment qu'il était content d'avoir un an de plus, au point de vouloir le fêter... Tout le monde savait, ses amis les premiers, qu'il n'était qu'un grand enfant qui ne voudrait jamais grandir si cela lui était possible. Mais il aurait quand même aimé que ceux-ci le lui souhaitent. Juste pour la forme. Et surtout Gringe. Les seuls à y avoir pensé, c'étaient ses parents — enfin, plutôt sa mère —, qui lui avait passé un coup de téléphone en début d'après-midi et en avait profité pour vérifier qu'il venait bien au repas de famille de la semaine prochaine, et sa grand-mère adorée qui l'avait appelée très tôt dans la journée, le réveillant de la sorte. Celle-ci lui avait fait d'innombrables bisous virtuels par le combiné du téléphone et lui avait rappelé quelques petites anecdotes de son enfance, tantôt drôles, tantôt émouvantes, tantôt honteuses. Ils avaient passé près d'une demie-heure à rire ensemble au téléphone et elle lui avait promis de lui faire un gâteau la prochaine fois qu'elle le verrait. Celui aux fraises, celui qu'il aimait tant quand il était enfant. Il avait passé un bon moment et était resté quelques instants le sourire aux lèvres après avoir raccroché. Il avait toujours l'impression de pouvoir agir comme lorsqu'il était petit avec elle et de ne pas avoir à mettre ce masque d'adulte qui lui allait si mal. C'était une des rares personnes avec qui il pouvait vraiment rester lui même, sans se travestir ou avoir à porter un costume qui ne lui allait pas pour faire plaisir aux autres personnes qui l'entouraient et une des rares aux côtés de qui il se sentait vraiment accepté. Sûrement parce que pour elle, il resterait toujours son petit Aurélien qu'elle amenait sur le pont jeter des avions en papiers. Puis Gringe était entré dans le salon et lui avait demandé pourquoi il souriait comme un benêt avec un ton légèrement moqueur et il avait seulement haussé les épaules. Il n'avait pas envie qu'il se moque de lui, ni le juge pour être retombé en enfance le temps d'une conversation même si, il le savait au fond de lui, Gringe était aussi une des rares personnes à accepter son côté excentrique et à qui il pouvait vraiment montrer son âme d'enfant. Mais il n'avait pas envie de lui dire la raison première pour laquelle sa grand-mère l'avait appelé. Il ne voulait pas avoir l'air de lui demander de lui souhaiter son anniversaire. Il aurait simplement aimé qu'il s'en souvienne de lui-même. Mais ce n'était pas si important, après tout.
Alors quand Gringe avait fait une remarque une fois dans la cuisine, disant dans un soupire qu'il ne restait vraiment rien à manger dans cette maison, Aurélien s'était levé du canapé et avait enfilé sa veste verte foncée qui contenait déjà tous ses papiers. Il avait dit de son éternel air blasé qu'il allait faire quelques courses et n'avait même pas attendu la réponse de Gringe qu'il entendait déjà sortir de la cuisine à cette annonce étrange avant de claquer la porte. Il avait fermé les yeux une fois au dehors, en entendant à quel point il avait claqué cette dernière fort sans faire exprès, et s'était mordu la lèvre. Il s'était senti étrangement vide et avait remarqué avec perplexité qu'un noeud était en train d'apparaître dans sa gorge. Des larmes lui étaient montées aux yeux et il avait secoué la tête, avant de se passer très brièvement une main sur le visage. Putain de fragile... Il avait tenté de reprendre sa composition quelques secondes plus tard et s'était dirigé vers l'ascenseur pour descendre les deux étages qui le séparait de l'extérieur. Gringe ne l'avait pas rattrapé, mais c'était normal après tout.
***
Aurélien sortit son portable de sa poche de sa main libre, l'autre portant d'une manière lasse un sac de courses à moitié vide. Il avait essayé de se rappeler de quoi ils manquaient à l'appartement mais il avait été incapable de s'en rappeler. Alors il avait simplement acheté des sandwichs triangles, des chips à l'ancienne, et des pâtes japonaises par paquets de vingt. Et quelques trucs pour le petit-déjeuner de Gringe mais il se doutait que celui-ci n'aurait plus envie de ça à cette heure avancée de la journée. Il jeta un coup d'œil à l'heure sur son écran, pensant qu'il ne savait même pas quelle heure il était. 19h. Il était plus que l'heure de rentrer, en effet. Quelle belle journée productive il avait passé pour son anniversaire, pensa-t-il un peu amer. Puis il remarqua les quatre appels en absence de son colocataire. Une vague de tristesse l'assaillit alors sans qu'il ne sache vraiment pourquoi en voyant que Gringe avait essayé de le joindre sans succès depuis 17h30, tombant inlassablement sur sa messagerie vu qu'il avait mis son téléphone en mode silencieux durant ses courses. Est-ce qu'il avait vraiment mis autant de temps que ça ? Est-ce que Gringe s'était inquiété de son absence ? C'était très peu probable, il lui avait dit où il allait après tout.