Guillaume jeta un œil par-dessus son épaule, afin d'observer le garçon qu'il amenait à l'infirmerie. C'était un des plus jeunes de sa classe. Il était en classe couplée CE2—CM1 et en tant que plus grands, la maîtresse leur demandait souvent de prendre soin des plus petits. Elle disait que c'était une histoire de coéducation et que les plus grands devaient apprendre aux plus petits et pourraient même être étonnés de voir qu'à leur tour, ceux-ci pouvait leur apprendre des choses à leur échelle. Guillaume soupira et se renfrogna. Il en avait rien à faire lui de la coéducation. Il n'avait pas que ça à faire que de s'occuper de gamins.
« Bouge, j'ai pas toute la journée. » dit-il d'une voix sévère en lançant un regard noir au garçon qui marchait sur ses talons.
Le plus jeune sursauta, sûrement effrayé par comment il l'avait interpelé, et essaya de marcher plus vite pour le rattraper. Il le vit esquisser une grimace de douleur et il leva les yeux au ciel, exaspéré.
« Désolé, s'excusa le gamin de huit ans en le rejoignant. J'ai mal aux genoux. »
Guillaume s'arrêta et lui jeta un regard en biais.
« T'es vraiment une mauviette, hein.
— Mais... ça fait mal... lui dit le plus petit en s'arrêtant et en le regardant avec de grands yeux écarquillés.
— Eh ben, souffre en silence. J'en ai rien à foutre, moi. »
Le plus jeune fit un pas en arrière, surpris par la violence de ses mots, et il vit qu'il avait les larmes aux yeux.
« Tu n'as jamais mal toi, Guillaume ?
— Bien sûr que si. Mais ça ne sert à rien de montrer sa souffrance aux autres, répondit-il en levant la voix. C'est les faibles qui se plaignent. »
Il dévisagea le plus jeune, qui l'avait fait tiquer en prononçant son prénom. Il savait donc qui il était dans la classe ? Lui, il ne savait pas. Il ne s'intéressait que très peu aux plus petits, évitant de leur parler. Il regarda les cheveux mi-longs et noirs du garçon et ses yeux marrons foncés qui le fixaient d'un air terrorisé. Il regretta un instant de s'être autant emporté en se rappelant qu'il avait quand même dû se faire très mal. Ils étaient en cours de sport et pendant qu'ils jouaient au basket, ce dernier était tombé par terre s'éraflant les mains et les genoux.
« T'es vraiment quelqu'un de méchant, Guillaume. Je préfère être quelqu'un de faible que quelqu'un qui n'a pas de cœur. »
Et avant qu'il ne puisse rajouter le moindre mot, le plus jeune s'était enfuit par l'endroit d'où ils étaient venus, le laissant en plan.
***
« T'es là ? Réponds, je ne vais pas te faire de mal ! »
Guillaume cherchait le plus jeune dans toute l'école, une pointe de culpabilité s'immisçant en lui. Peut-être qu'il y était allé trop fort ? Il n'était pas foncièrement méchant, seulement énervé par cette journée merdique. Il pleuvait, ses parents avaient oublié de lui mettre un goûter et aujourd'hui, c'était son anniversaire. Il avait dix ans aujourd'hui et tout le monde semblait s'en foutre. Alors le fait de devoir s'occuper du plus petit, c'était juste la goutte d'eau qui avait fait déborder le vase.
Il entendit alors des petits sanglots en entrant dans les toilettes du rez-de-chaussée et se dirigea vers un des toilettes. Il ouvrit délicatement la porte qui avait été laissée ouverte et tomba sur le plus petit, en train de pleurer contre la paroi à même le sol. Il s'accroupit devant lui et toucha son bras, un air coupable sur le visage. Le plus jeune sursauta et releva la tête de ses bras croisés pour le regarder d'un air paniqué.
« Je suis désolé de m'être énervé comme ça, s'excusa Guillaume. C'est pas de ta faute et je me suis emporté contre toi. »
Le petit garçon renifla et passa une main sur ses joues trempées, le dévisageant d'un air confus.
« Pourquoi tu as crié ? Je ne t'ai rien fait, moi.
— Je sais, je suis désolé, s'excusa encore une fois Guillaume en se passant une main sur la nuque. Je crois que je suis juste triste en fait.
— Pourquoi ? lui demanda le petit garçon.
— C'est mon anniversaire aujourd'hui. Et j'ai l'impression que tout le monde s'en fout. Mes parents, en tout cas.
— Alors, t'as... commença le plus jeune en essayant de compter sur ses doigts. T'as onze ans ?
— Seulement dix, rit Guillaume en lui montrant avec ses doigts.
— T'es grand, lui sourit le garçon.
— Et toi ? T'as quel âge ?
— Huit ans, bientôt neuf. Je suis né en août, dit le plus jeune en lui offrant un large sourire.
— Je vois, rit Guillaume en voyant la fierté dans les yeux du plus jeune. Et sinon, tu t'appelles comment ?
— Aurélien, lui dit-il d'un ton enthousiaste. Mais tout le monde m'appelle Orel. Je préfère. »
Guillaume rit et se leva, tendant sa main à Aurélien.
« Alors viens Orel, je t'amène à l'infirmerie. »
Le plus jeune lui jeta un regard inquiet et il lui sourit.
« Fais-moi confiance, Orel. Je me suis excusé, hein ? »
Celui-ci attrapa sa main après une nette hésitation et il le vit écarquiller les yeux une fois debout.
« Ça fait mal... bredouilla-t-il quand Guillaume lui jeta un regard curieux.
— Ah mince, tes mains ! Tu t'es bien éraflé, hein ? dit Guillaume en se penchant vers les paumes du plus jeune qui étaient rouges.
— J'ai mal aux genoux, murmura Aurélien en lui lançant un petit regard timide.
— Ok, alors monte. »
Il posa un genou au sol et lui présenta son dos.
« Tu es sûr ? » lui demanda Aurélien d'une petite voix.
Pour seule réponse, il lui fit signe de monter sur son dos et quand celui-ci s'y assit et entoura son cou de ses bras, il se releva en attrapant fermement ses jambes pour pas qu'il tombe.
***
Aurélien sortit de l'infirmerie avec une sucette dans la bouche et lui en présenta une.
« Je t'en ai pris une. Pour ton anniversaire. »
Guillaume regarda la sucette que lui tendait le plus jeune et la prit en se retenant de lui dire qu'il n'aimait pas les sucreries.
« Merci, Orel. »
Le plus jeune lui offrit un large sourire et ils se mirent à marcher en direction de la cour de récréation, pour rejoindre leurs camarades de classe.
« T'es pas aussi méchant que tu en as l'air. » lui sourit le plus jeune et il ne put retenir un léger sourire.
Finalement, il aimait bien ce garçon, malgré son jeune âge. Et peut-être bien qu'il essaierait de lui parler plus souvent.