2e Round

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~~Anissa~~

C'était son frère.
Le même que celui du supermarché. Et il l'a défendu, contre moi.

J'ai l'impression que c'est dans leurs gênes de défendre les autres ou les leurs.
Seulement aujourd'hui, à la différence d'il y a deux jours, je n'étais plus la victime. Cette fois-ci c'était moi le bourreau, et j'ai détesté ça.

Je ne sais pas ce qui m'a pris.
Réagir avec une telle rage et agressivité ne m'était autrefois jamais arrivé.
Je n'ai jamais été une personne belliqueuse, au contraire. Je me suis toujours vue comme quelqu'un de calme.
Alors qu'est-ce qui m'arrive ?

Est-ce à cause de ce verset ? Ce verset que j'ai si longtemps chéri ? Ce verset qui - comme le disait Samia - était devenu l'hymne nationale de mon royaume intérieur ? Ce royaume où je voulais que règne uniquement la paix de Dieu.
Où est-elle maintenant ? L'ai-je perdue ? Ou est-elle partie parce que je ne la méritais plus ?
Je suis perdue.

J'ai l'impression que je vais exploser. J'ai tellement de choses à l'intérieur, tellement de maux, tellement de douleurs, tellement de non-dits, tellement de frustration, tellement de rancœur - envers moi-même et les autres, tellement de tristesse dans le cœur.
Et ça m'étouffe. J'ai l'impression que je vais mourir asphyxiée par tout ça.
Il faut que ça sorte !

Je déambule à travers les rues, sans réellement savoir où me mènent mes jambes. Parfois je perds l'équilibre et m'oblige à m'arrêter, la douleur physique suite aux coups d'hier étant encore bien présente.

Au bout d'une vingtaine de minutes, c'est devant un énorme grille noire que je me retrouve, une grille que je reconnaîtrais entre milles, bien qu'étant venue en ces lieux une seule fois seulement.
Pourquoi ? Pourquoi m'avoir conduit ici ?

Depuis l'enterrement de mon père, je n'ai plus remis les pieds dans ce cimetière, je n'ai plus jamais revu sa tombe. Ça me faisait trop de mal.

Comment aurais-je pu ? Où aurais-je trouvé le courage de me tenir debout face à lui alors que je suis la cause de sa mort ? Qu'aurais-je bien pu lui dire ? Que je suis désolée ?
Comme si ça pouvait changer quelque chose.

Ma lâcheté étant bien trop grande, je tourne les talons et tente de faire demi-tour, mais une voix dans ma tête me crie d'y aller.

Le cœur battant la chamade, je pousse la grille et pénètre dans le séjour terrestre des morts.
Slalomant entre les tombes, je crois ne jamais pouvoir la trouver lorsque, fixant mon regard vers la gauche, je tombe sur des écrits :

Christian LEBOMA
1971 - 2016
RIP

Mes yeux s'embuent automatiquement et je m'écroule de tout mon poids sur le marbre froid en dessous duquel a été enterré le seul Homme pour lequel je donnerais ma vie encore aujourd'hui.

J'ai l'impression de sentir mon cœur saigner, comme si l'on m'assenait des coups de couteaux, encore et encore et encore.
La douleur est insupportable, et je hurle. De toutes mes forces, de tout mon cœur, avec toute la puissance qu'il m'est permis d'avoir, je hurle ma peine.

-Papa ! __éclaté-je en sanglots__ Papa... Je suis désolée, je suis désolée, je suis désolée ! Pardonne moi, je t'en supplie. Pardonne moi.

Les mains de part et d'autre, je m'accroche à cette tombe comme si ma vie en dépendait.

-Tata Arlines a raison, papa. C'est de ma faute si tu es là. C'est moi qui t'ai tué. Je suis une meurtrière, j'ai tué mon papa. Je t'ai tué papa, je suis une sorcière. Si je n'avais pas existé tu serais encore en vie. J'ai fait de Nik une orpheline papa, et Tata Arlines est veuve à cause de moi papa, je suis désolée.

Des heures durant, je reste là, mi-allongée par terre, la bouche pleine d'excuses.

A la nuit tombée, je quitte cet endroit, bien que la seule envie que j'ai est d'y rester pour toujours, avec lui ; avec mon papa.

Je me force cependant à prendre le bus et rentrer chez moi, le visage toujours humide.
Lorsque je passe le seuil de la porte, c'est avec une gifle de Tata Arlines que je suis accueillie.
Je perds l'équilibre et me cogne la tête contre un meuble avant de m'écraser sur le sol.

-Tu es folle, Anissa ? __me crie-t-elle dessus__ Alors maintenant madame fait ce qu'elle veut ? Elle rentre à l'heure qu'elle veut ? C'est parce que je t'ai permis de reprendre l'école que tu crois pouvoir te comporter ainsi ?

Malgré les violents coups que je viens de me prendre, je me fais violence pour me lever et la contourne, marchant désormais en direction de ma chambre.
Je n'ai vraiment pas l'énergie pour tout ça.
Mais c'est mal la connaître.

-Moi je te parle et tu t'en va ? __s'empresse-t-elle de me rattraper, empoignant mes cheveux__ Je te parle et tu pars ? Donc je suis folle ? Ce que je dis ne mérite pas ton attention ? Eh, tu vas voir !

Je ne me donne même pas la peine de résister et me laisse tomber, lui offrant le privilège de me traîner sur le sol. Elle poursuit en me mettant des claques, avant d'enchaîner avec des coups de poings, puis de pieds dans mes côtes.

Malgré la douleur qui émane de cette violente frapperie, aucun son ne parvient à sortir de ma bouche.
Je me contente donc d'encaisser ses coups, pleurant toutes les larmes de mon corps, en silence.
Au bout d'un certain temps et après un énième coup de pied, je vomis à plusieurs reprises tout le contenu de mon estomac, puis du sang.
Cela dure un bon moment et c'est seulement une fois après m'avoir insulté et traité de tous les noms qu'elle s'arrête enfin, et s'en va.

-La prochaine fois tu réfléchira à deux fois avant de me défier. Sorcière !

Elle tourne les talons et me laisse là, baignant dans ce mélange visqueux et rougeâtre.
Je tente alors de me lever mais m'écroule tout de suite après, mes membres désormais incapables de supporter le poids de mon propre corps.
Sans que je ne comprenne pourquoi, ma vue se brouille, tout autour de moi tourne de plus en plus vite et s'assombrit tandis que j'ai l'impression de suffoquer.

Anissa - Sublimes Cicatrices (Tome 1)Où les histoires vivent. Découvrez maintenant