Petites tâches rouges

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~~Anissa~~

Lorsqu'après l'incendie, j'ai réalisé que j'étais désormais livrée à moi-même, je me consolais en pensant qu'il y avait des gens dans le monde qui vivaient pire que moi.
Je songeais au fait que je n'avais pas le monopole de la souffrance et qu'à l'heure où je versais des larmes pour ma vie, des millions d'autres enfants en faisant sûrement de même.
Et ça me rassurait. Ça a beau paraître glauque, ça me faisait du bien de savoir que je n'étais pas la seule.

La mort de papa a été la pire expérience que j'ai vécu de ma vie. Et tout de suite après sa mise en terre, je me suis retrouvée enfermée dans cercle vicieux, un monde où tous me condamnaient, me jugeaint.
Je n'étais plus personne, hormis l'ombre de moi-même.

Malgré tout, j'essayais de faire volte-face et ignorer les commentaires désobligeants de Tata Arlines contre ma personne.
J'essayais de garder mon sang-froid lorsqu'elle me traînait plus bas que terre, tant par ses coups, ses insultes que ses regards dédaigneux.
J'essayais, mais aujourd'hui je ne peux plus.

Accroupie devant de désastre qui a eu lieu il y a quelques heures, je ne parviens plus à retenir mes larmes.
Je ne méritais pas ça !

Qu'ai-je fait de si grave ? Il était à peine 19 heures et elle sait aussi bien que moi qu'elle permet à Nik de rentrer bien plus tard que ça.
Elle n'a même pas pris le temps de me questionner et attendre mes explications.
Non, tout ce qui l'intéresse c'est que je suive à la lettre ses fichues règles et ordres, sans jamais me plaindre.

Dieu sait que j'ai essayé.
J'ai essayé d'être la fille la plus obéissante et gentille pour elle. Je pensais que, de la sorte, elle me laisserait enfin tranquille.
Mais je me rends compte que dans sa tête ça ne marche pas comme ça.
Je réalise que tout ce qu'elle désire c'est avoir le total contrôle sur ma personne, sentir que je suis beaucoup beaucoup moins qu'elle et sa fille.
Elle veut faire de moi une moins que rien.
Et je n'en peux plus, j'arrive à saturation.

Une fois le nettoyage terminé, je passe à l'eau tous les chiffons dont je me suis servie et les débarrasse de tout ce sang, avant de me faufiler doucement vers ma chambre et jetter un coup d'œil à l'horloge : 4h56
Il est quasiment 5 heures du matin, à quoi bon me recoucher ?

Je pars dans la salle de bain et me mets devant le miroir, qui me renvoie l'image d'un visage plein de bleus.
Comment vais-je bien pouvoir cacher ça ?

En dépit de mes côtes endolories, je file prendre ma douche et m'habille d'un jeans noir au dessus duquel j'enfile un débardeur puis un simple sweatshirt bleu foncé. J'attache mes cheveux à la va-vite et recouvre ma tête de ma capuche avant de retourner dans ma chambre.

Assise près de la fenêtre, je contemple l'horizon.
Le bleu sombre de la nuit laisse peu à peu place à un bleu plus clair, tandis que la petite faune citadine près de chez moi se réveille enfin.
Je regarde tout ça et ne remarque que plus tard qu'il est temps pour moi d'y aller.

Sans un mot pour qui que ce soit, je claque la porte d'entrée et marche en direction de l'arrêt de bus.
Pendant tout le trajet, je me masse le ventre et serre les dents pour supporter la douleur.
Mon estomac me brûle.
De temps en temps ma vue se brouille, et je présume que c'est un des effets secondaires de la baston que j'ai reçu hier.

Une fois à destination, je rends mon billet et descends, marchant d'un pas rapide vers le terrain de sport à l'arrière de la cour.

Le peu d'élèves présents à cette heure-ci me suivent du regard, alors que je me fais violence pour ne pas trébucher.
Je vous le dis, vous n'avez pas intérêt à me chauffer aujourd'hui.

J'atteints enfin mon fameux banc et m'y écrase, m'octroyant enfin de droit de gémir de douleur.
Je lève le bas de mon pull jusqu'en dessous de ma poitrine et effleure les énormes tâches rouges qui s'y trouvent, me questionnant sur leur soudaine apparition.
Je suis certaine qu'elles n'étaient pas là tout à l'heure.

Je suis toujours dans mes pensées lorsqu'une main se pose sur mon épaule.
Je sursaute.

-Oups ! __un rire s'échappe de la gorge de cet(te) intru(e)__ Désolée, tu m'avais demandé d'arrêter.

Je ravale ma souffrance physique et me tourne vers cette invitée surprise.

Minus...

Je fronce les sourcils et la sonde du regard, alors qu'elle se plaît à m'adresser son plus beau sourire.
Qu'est-ce qu'elle fiche ici ?

-Tu t'es perdue ?

-Quoi ? Comment ça "perdue" ? __elle lâche un rictus__  Tsss, me fait pas rire s'il te plaît !

Elle enjambe le banc et y pose ses fesses, se tournant ensuite vers moi.

-Ça va ?

Interdite, je continue de la fixer, tentant de trouver une explication logique à sa présence en ces lieux.
Elle est amnésique ou complètement perchée ?

Comment peut-elle encore m'adresser la parole après ce que je lui ai fait hier ?
Non pas que cela me déplaise, bien au contraire. Ce sera l'occasion pour moi de lui présenter mes plus plates excuses.
Mais ça ne change rien au fait qu'elle est archi bizarre comme fille.

-Tu ne veux pas répondre ? Ok ! __hausse-t-elle les épaules__ Moi je vais plutôt bien, si tu veux savoir. Nonobstant le fait que je n'ai pas suffisant dormi.
J'ai réfléchi à mon attitude envers toi hier et à ce qui avait bien pu causer cette réaction pour le moins... Violente, et j'ai compris que tout était de ma faute.

Je fais les yeux ronds et entrouve les lèvres, sans qu'aucun son ne parvienne à en sortir.

-J'ai la fâcheuse habitude de croire que tout le monde autour de moi est chrétien et je...

Je ne l'entends plus.
Mes oreilles bourdonnent, tout autour de moi prend une teinte de plus en plus sombre et la douleur dans mon ventre s'accentue de plus en plus, à mesure que les secondes s'écoulent.

La jeune fille à côté ne semble pas remarquer mon mal être, étant donné qu'elle continue son monologue.

Je pose les mains sur mon ventre et ferme les yeux, tentant de retrouver un rythme respiratoire stable. 
Mon estomac se serre, des gouttes de transpiration dégoulinent le long de mon front alors que l'air dans mes poumons se fait de plus en plus rare.

-Euh... Ehoh, tu m'écoute ?

Sans comprendre ce qui m'arrive, je me laisse tomber au sol et tente de réouvrir les yeux, mais la dernière image que je vois est celle de cette fille, me remuant de toutes ses forces et criant à l'aide, complètement paniquée.

Anissa - Sublimes Cicatrices (Tome 1)Où les histoires vivent. Découvrez maintenant