~~Anissa~~
Trois semaines ont passé. Cela fait désormais trois longues semaines que Samia et moi avons ce qu'elle appelle des séances de reconversion.
Trois semaines que tous les Mercredis et Dimanches, elle et moi nous retrouvons pour qu'elle me parle de choses que je sais mieux que personne.
Et franchement je n'en peux plus.J'ai toujours été une fervente chrétienne, assidue et très impliquée dans les activités de mon assemblée, ainsi que dans ma relation avec Dieu. J'ai consacré très tôt ma vie au Seigneur. Alors oui, tout ce qu'elle me dit, je le sais.
Au fond, je sais qu'elle pense bien faire. Je pense qu'au fond d'elle elle croit savoir ce dont j'ai besoin.
Mais en réalité, que sait-elle ?
Elle est partie vivre sa vie en Italie et pendant trois bonnes années, j'ai vécu des choses qu'elle ne soupçonne même pas.
J'ai été détruite, la vie m'a brisée en mille morceaux et j'ai été enfoncée si bas qu'il m'est aujourd'hui impossible de me relever.
Et je doute que ces séances de quelques heures arrivent à me délivrer de cette prison dans laquelle je suis enfermée.
Et ça, elle ne le voit pas.-Hello ! __elle arrive en grande pompe dans ma chambre, sac sur le dos et ordi à la main__
Je souffle et me force à lui sourire.
-Tu es superbe dans cette robe.
-Ah oui ? __elle glousse__ Merci, parce que j'ai longtemps hésité à la mettre. Tu sais que ça ne m'a jamais vraiment plu.
-Tu devrais en mettre plus souvent ! __je lui fais une place parmi le chantier de cahiers et livres sur mon lit__ Ça te va bien.
Elle hoche la tête et viens me rejoindre.
Nous restons un moment dans le silence, moi essayant de résoudre un exercice de chimie et elle, adossée à la tête de lit, songeant à je ne sais quoi.-Dis, __elle semble revenir à elle__ on peut discuter ?
-Oui, si tu veux. __posé-je mon crayon, me retournant vers elle__ De quoi ?
Son regard traduit une sorte d'anxiété, et je comprends par avance que ce qui va suivre ne me plaira pas. Pourtant, je ne dis rien, et lui adresse simplement un regard interrogateur.
-En fait, j'ai discuté il y a quelques semaines avec Tante Arlines et elle m'a fait part de ce qui se passe en ce moment ?
-Et qu'est-ce qui se passe ? __arqué-je un sourcil__
-Écoute, __se racle-t-elle la gorge__ je sais que je ne suis pas la mieux placée pour aborder ce sujet, d'autant plus que j'ignore quasiment tout de cette histoire, mais ce qu'elle m'a dit m'a beaucoup touché.
Je laisse échapper un soupire las et la questionne :
-Qu'est-ce qu'elle a bien pu te raconter ? Que je suis une mauvaise fille, qui a pourri sa vie et dont elle se débarasserait volontiers ? Pitié Sam, je n'ai pas envie de parler de ça.
-Non, au contraire. __elle me tient le bras alors que je retournais à ma précédente occupation__ Elle a avoué ses torts. Elle a admis s'être comportée de manière injuste avec toi...
-Alors quoi ? __je m'énerve__ Il faudrait lui attribuer un trophet c'est ça ? Que je sache, elle n'est ni la première ni la dernière personne de ce monde à admettre ses fautes. Et entre nous soit dit, je m'en contrefiche totalement. Qu'elle fasse ce qu'elle veut.
Choquée par mon attitude, mon amie met du temps à réagir.
-Comment peux-tu parler ainsi ? Je viens de te dire que la femme qui a fait de ta vie un enfer s'est repentie de ses mauvaises actions et tout ce que tu trouve à dire c'est "je m'en contrefiche" ? Tu as aujourd'hui l'opportunité d'entretenir des relations cordiales et sans aucune violence avec elle et tu veux y renoncer ?
-Sam, ça suffit.
Mon ton est dur. Si dur qu'elle eut un mouvement de recul.
-Tu n'as aucune idée de ce que cette femme - que tu oses défendre bec et ongle m'a fait. Tu n'as pas la moindre idée des conditions dans lesquelles j'ai dû vivre au cours des deux dernières années, alors s'il te plaît, ne parle pas de choses que tu ignore.
-Est-ce vraiment une raison pour refuser de lui accorder ton pardon ? Elle regrette, et si Dieu est capable de nous pardonner toutes nos fautes, qui sommes-nous pour ne pas en faire autant.
-Je ne suis pas Dieu, __haussé-je le ton__ tu entends ? Je.Ne.Suis.Pas.Dieu ! Et combien même l'aurais-je été, crois-moi quand je te dis que jamais je ne lui pardonnerais ce qu'elle m'a fait.
Ça me rend folle. Ça me rend folle qu'elle ose prendre sa défense. Comment ose-t-elle ?
C'est facile pour elle de me demander de lui pardonner et tout oublier.
C'est facile pour elle de me sortir tous ces discours à propos de la miséricorde et l'Amour du Très-Haut.
Mais s'est-elle seulement une seule fois mise à ma place ?
Aujourd'hui elle me voit comme une âme à sauver, mais a-t-elle seulement une idée sur l'état de cette fameuse âme ?-Je n'arrive pas à te reconnaître, Anissa. Tu n'as jamais été comme ça, aussi rancunière et intrépide.
-La vie ça change les gens.
-Non, tu te trompe. __fronce-t-elle les sourcils__ La vie ne change pas les gens. Ce sont les gens eux-mêmes qui laissent aux événements extérieurs le loisir de faire d'eux ce qu'ils ne sont pas. N'accuse pas la vie.
Je lâche un rictus nerveux.
-Si tu le dis !
-Ça m'énerve que tu agisse de la sorte. Tu as toujours été quelqu'un de tellement pacifique et aujourd'hui, tu es devenue cette jeune femme froide et rancunière. __elle se lève et me fait face__ Tu dis que la vie change les gens. Mais tu sais quel est le problème de l'être humain ? C'est que tout au long de sa vie, il pense avoir le monopole de la souffrance.
Ses mots me transpercent le cœur et je relève la tête vers elle, la bouche entrouverte.
-Tu penses vraiment être la seule à souffrir ? Tu crois qu'il n'y a que toi qui est passée par des moments difficiles ? Détrompe toi, Anissa, on reçoit tous notre dose.
-De quoi tu parles ?
-Moi aussi j'ai souffert, moi aussi j'ai cru que c'était la fin et que jamais je ne me relèverai. J'ai pensé que c'en était fini de moi. Ma mère a été malade pendant deux ans, elle a failli mourir. Mon frère était habité par des esprits malins et a plusieurs fois été à ça de se donner la mort. Je ne...
-Comment oses-tu comparer ? __je rugis__ Pour qui te prends-tu, Samia ? Mais t'es complètement folle, ma parole. Tu me parles de ta mère et ton frère malades ? Mais ils sont toujours en vie eux, tu les as toujours avec toi. Les miens sont morts, tous les deux. Tu n'as pas le droit de comparer. Tu ignore tout de ce que je ressens.
Ses épaules s'affaissent et elle dit d'une voix presque inaudible :
-Je sais !
-Non, __poursuivi-je, les yeux embués__ tu ne sais pas. Tu ne sais rien, Samia. Car si tu savais quoi que ce soit, jamais tu n'aurais eu le courage de te lever devant moi et me raconter ces bêtises. Tu veux comparer nos vies ? Très bien, on va comparer.
VOUS LISEZ
Anissa - Sublimes Cicatrices (Tome 1)
RandomTrois ans. Voilà désormais trois années que mes pieds n'ont pas foulé le sol de cette ville. Trois ans que je n'ai pas revu ce ciel, ces immeubles, ces routes, ces personnes, ce quartier. Daossi a toujours beaucoup compté à mes yeux, car elle a ét...