1 DECISION

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« Personne ne me prendra mon fils. »

Quand Kalen Lachenaie se fit cette promesse, il était loin d'ignorer les risques qu'il encourrait. Entre ses bras frileux, le petit Matteo agitait frénétiquement ses mains en lui souriant. 

Ce bonheur dans ses mouvements...cette lueur d'excitation dans ses minuscules prunelles dorées...pouvait-on savoir, rien qu'à l'apercevoir dans ce genre d'instant d'heureuseté, que la mort rôdait furtivement autour de lui ?

D'un geste témoignant toute son affection pour le gamin, Kalen caressa les mèches brunes qui recouvraient le crâne de ce dernier et lui rendit son sourire. Puis il reporta son anxieux regard sur la ville endormie, à travers la fenêtre de sa petite chambre sombre. 

Amsterdam sommeillait encore, bercé par le sourd roucoulement du vent nocturne. Le canal principal s'étendait à perte de vue, bordés d'ifs nains que l'automne avait repeint en rouges et jaunes, pour ceux qui avaient encore leurs feuilles. Des langues de vent léchaient les pirogues colorées qui tanguaient dans les canaux amstellodamois. 

De temps à autres, soufflait la brise un peu plus fort, arrachant quelques feuilles sèches qui essayaient par un dernier effort, de se retenir à leurs troncs mères, comme Matteo se retenait à Kalen. L'eau était noire, et la demi-lune triste s'y reflétait. L'automne était arrivée sur la ville, tardivement certes, mais elle était là. 

 Le froid, était là. La solitude, aussi. Le vent éparpillait des feuilles mortes partout sur le chemin pavé qui longeait le canal irrigué, et en poussait parfois quelques-unes dans l'eau glacée. Au loin, le son macabre d'un banjo perçait le silence de la nuit.

Kalen resserra son emprise autour du gosse. Qu'il avait peur. Peur de tout. De la nuit, du vent, de la solitude. Peur que la mort surgisse un jour de nulle part et réussisse à arracher cet enfant de ces bras. Peur que si la mort n'y arrive, la famille biologique de l'enfant s'en charge. 

Car même si l'entourloupe était méconnue du voisinage, même si le sort avait fait d'eux deux gouttes d'eau, Matteo n'était pas le fils biologique de Kalen Lachenaie. Oui, ils avaient la même chevelure noire de jais. Oui, ils avaient tous deux les oreilles décollées et le nez retroussé comme des hamsters. Mais que le hasard était doué pour bien faire les choses. 

Matteo n'était pas l'enfant de Kalen. Les véritables parents de l'enfant avaient succombé suite à un grave accident de moto. Il faut dire que Mickael avait toujours été un grand fanatique de ces véhicules. En repensant soudainement à son mari, le cœur déjà meurtri de Kalen se contracta douloureusement dans sa poitrine. 

Ses pensées l'avaient encore ramené vers Mickael Lachenaie, et des larmes emplirent ses yeux. Mickael était le mari de Kalen et le véritable père de Matteo. Mickael était celui pour qui son cœur battait ; celui qui avait promis de lui rester à jamais fidèle. Mickael lui avait juré de l'aimer jusqu'à la fin des temps. 

Mickael avait reussi à le convaincre qu'il ne manquerait jamais de rien, qu'il vieillirait à ses côtés et verrait leurs enfants grandir. Mickael était celui qui avait brisé chacune de ces promesses, une à une, jusqu'à la toute dernière.

La bisexualité de son mari ne lui avait jamais causé de problème. Il n'y avait aucune raison pour qu'il ne lui fît pas confiance. Il avait mordu dans chaque parole, il s'était désaltéré de toutes ses belles promesses. Ces belles fausses promesses. 

Ingrid Winchester n'était pas n'importe qui à Amsterdam. Mickael aurait pu le tromper avec n'importe qui, mais elle n'était pas n'importe qui. De son vivant, elle avait toujours été une femme très influente dans tous les Pays-Bas. C'était la fille du célèbre chef cuisinier Jéricho Winchester, une légende vivante. Leur famille possédait le meilleur restaurant de tout le Pays. 

LIENS PARTAGÉS (WATTYS2020)Où les histoires vivent. Découvrez maintenant