27 DISSENSION (SUITE)

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***

Kotchenko pouvait la sentir. Elle flottait, elle planait dans les airs. L'énergie libérée par le choc. Il pouvait percevoir l'odeur du sang dans les airs, qui se mélangeait à celle de la neige immaculée. L'essence qui coulait à flot de la moto retournée, la fumée noire qui s'élevait dans le ciel grisant.

 Il sentait encore chaque élément, plus de dix mois après les faits. Le matin venait à peine de se lever, les premiers rayons de soleil perçaient à travers les bâtiments colorés d'Amsterdam.

— C'est précisément là, que la moto a perdu les freins. Puis en voulant éviter cet arbre-là devant, elle a fait une embardée et s'est retournée. Ça c'est du moins ce que la détective Nikova...avait conjecturé...

— Oui, je vois, monsieur Christoffel, dit Kotchenko, en observant les boutiques colorées qui longeaient le lieu de l'accident. C'était une rue bondée en journée mais déserte en soirée. Pas étonnant qu'il n'y eut personne sur les lieux de l'accident quand cela s'était produit.

Les deux hommes avancèrent vers un vieux bazar à la façade poussiéreuse. Lorsqu'ils entrèrent, le carillon tinta. Un vieil homme somnolant au comptoir sursauta. Il avait le crâne dégarni et les dents jaunies, dont plusieurs manquaient à l'appel. 

Le brun se demandait ce que son nouveau patron était venu chercher dans cette nouvelle boutique. Il ne pouvait plus avoir aucune preuve. La scène était polluée par dix mois d'allées-venues et d'intempéries. Le commerçant proposait dans sa boutique des miroirs de toutes sortes et toutes formes.

— Détective Nikova, se présenta Kotchenko en montrant son badge, et voici mon assistant monsieur Christoffel. Nous enquêtons dans le cadre d'un enlèvement survenu le douze Décembre passé. Nous aurons besoin d'avoir accès aux enregistrements de vos caméras intérieures et extérieures.

— Si je puisse me permettre, l'interrompit Xander, votre femme et moi avons déjà passé les enregistrements au crible, il n'y avait rien.

— Caméras extérieures de ma boutique, expliqua le vendeur édenté, y filmaient pas bien la nuit. L'éclairage, y donnait pas bien. Y a dû les changer plus tard. Y aura rien sur l'vidéos. Trop sombre, désolé.

— J'ai juste demandé toutes les vidéos de votre magasin, pas que vous me racontiez des tonnes de bavardages, le coupa le détective russe en remontrant son badge au vendeur. Ce dernier se précipita dans l'arrière-boutique pour trouver ce que monsieur Nikova lui avait demandé. 

"Quant à toi, Xander...je ne veux pas savoir ce que ma femme et toi avez déjà eu à faire, ça ne m'intéresse pas. Je maitrise le dossier de cette enquête par cœur. Par conséquent, tu n'as rien à m'apprendre sur le métier, merci juste d'observer."

Xander serra les poings jusqu'à ce que ses ongles s'enfoncent dans ses paumes. Décidément, il supportait de moins en moins ce Kotchenko Nikova. Et il se demandait comment Willow avait pu l'épouser. Il avait un caractère détestable et une allure orgueilleuse. 

Lorsqu'ils rebroussèrent chemin avec les cassettes entre les mains, Xander se demandait déjà s'il tiendrait jusqu'à la fin de l'enquête. Ils connaissaient déjà les coupables. Mais ils n'avaient encore aucune preuve acceptable devant un tribunal pour clore le dossier.

Dès leur arrivée au bureau d'enquête, Kotchenko se précipita vers les machines et brancha les cassettes une à une, intérieures comme extérieures. Le stagiaire ne comprenait pas. L'accident avait eu lieu dans la rue. Pourquoi visionnaient-ils des enregistrements d'intérieur ? Et c'est là que le jeune stagiaire comprit.

— Revenez en arrière, tonna-t-il, alors que Kotchenko s'exécutait. Xander pointa un coin de l'écran, ou on pouvait apercevoir brièvement le reflet d'une moto bleue sur un miroir au fond de la boutique.

— Tu comprends pourquoi les caméras intérieures, maintenant ?

— Il y a beaucoup de miroirs dans cette boutique, remarqua Xander. Vous cherchez des reflets.

— Prends-en de la graine, Xander...

Kotchenko continua de faire défiler les images. Puis il changea de disque, ainsi de suite. Au bout d'une heure, ils remarquèrent instantanément autre chose. Un autre reflet. Un spasme traversa les doigts de Kotchenko et il mit pause sur la vidéo.

— La collision, prononça-t-il en zoomant sur l'image. Puis il avança la vidéo au ralenti, sous l'œil attentionné de Xander Christoffel. En effet, sur l'un des petits miroirs du magasin, on voyait la moto renversée glisser sur le côté puis s'arrêter, toute fumante.

— Bingo, se réjouit Xander, la moto s'est arrêtée juste dans notre champ de vision. En avançant un peu, on verra...

— ...la personne qui a coupé le cordon ombilical de l'enfant.

Leurs cœurs battaient à tout rompre, alors que Kotchenko avançait la vidéo. Peut-être auraient-ils les preuves nécessaires pour inculper les Lachenaie et le docteur Delacruz. Quelques minutes après, un homme arriva effectivement sur le lieu de l'accident. 

Kotchenko se raidit. Ils virent un homme se pencher au-dessus de l'enfant qu'Ingrid venait d'expulser avant de mourir. Il faisait sombre et on ne voyait pas nettement ce qu'il faisait. Néanmoins, il se releva quelques minutes plus tard d'un pas pressé avec l'enfant dans ses bras. Kotchenko mis à nouveau pause sur l'enregistrement, juste au moment où on voyait le visage du coupable.

— Antonio Delacruz, expliqua Xander. C'est un chirurgien pédiatre à l'hôpital Pajpi d'Oud-West. Marié, une fille. La détective Nikova avait émis des hypothèses quant à la complicité du docteur dans cette sordide affaire. Elle n'avait pas tort.

— Bien, sourit Kotchenko, je vais donc m'occuper de son cas.

— Qu'allez-vous faire ? demanda Xander sur un ton inquiet. Vous allez en parler aux Winchester, non ? Et...et soumettre les preuves devant un tribunal...

— Ça, ça ne te regarde plus, tonna le détective en se relevant. Une fois ton rapport de stage terminé, tu pourras enfin partir d'ici. Pour le reste, je m'en charge personnellement. 

LIENS PARTAGÉS (WATTYS2020)Où les histoires vivent. Découvrez maintenant