9 PRESOMPTIONS

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Kalen avançait à pas feutrés. Une perle de sueur froide lui frictionna l'échine. Il voyait sa proie malgré la pénombre. Elle était de dos. Il la reconnaissait. Elle ne le voyait pas approcher. Il avait un masque comme tout le monde. Elle aussi. 

Personne ne savait ce qu'il était sur le point de lui faire. Plus il approchait et plus il cernait chaque détail de sa silhouette. Ses cheveux blonds cacao. Sa robe blanche de Cléopâtre. Cléopâtre qui s'était donnée la mort. C'était bien elle. Ingrid Winchester. Chaque pas le rapprochait d'elle. 

Aucun invité ne semblait se soucier de la présence du brun. Ils continuaient tous à danser au rythme de la musique envoutante, des flutes de champagne dans leurs mains. Kalen quant à lui ne perdit pas de vue son objectif. Il sortit une dague dissimulée sous sa blouse blanche ensanglantée et continua d'avancer d'un pas lourd vers sa cible.

Elle ne le voyait pas venir. Mais il gardait les yeux ostensiblement rivés sur elle. Plus il se rapprochait, et plus il cernait chaque détail de son déguisement. Les broderies dentelées sur l'échancrure de la robe. Les lueurs orangées qui se reflétaient sur les épaules nues de sa proie. Les perles nacrées de sa broche. Il voyait tout, mais personne ne voyait rien. Personne ne voyait qu'Ingrid Winchester était sur le point de se faire enlever...

Lorsqu'il arriva près d'elle, il se rassura que Ramis n'était pas prêt de revenir. Il guetta toutes les entrées de ce fait, avant de se pencher vers sa proie. Elle avait un parfum sobre. Géranium et chrysanthème.

Le parfum de la mort.

— Ne faites aucun mouvement brusque, l'avertit-il en appuyant la lame de la dague sur l'une des côtes de la demoiselle. Ne vous retournez pas.

— Que fai...qui êtes-vous ? se raidit-elle. Ses doigts se crispèrent sur la flute de champagne ambré qu'elle tenait.

Kalen sentit la respiration de la demoiselle s'arrêter progressivement. Ça y'est, pensa-t-il, il avait réussi. Il avait retrouvé Ingrid Winchester...

Une semaine plus tôt...

Décidément, Léonie adorait sa nouvelle vie. Elle avait tout ce qu'elle désirait. Personne ne lui refusait rien. C'était de ça qu'elle avait toujours rêvé. Déjà une semaine qu'elle habitait ce palace, et elle ne s'en lassait pas. Elle ne s'en lasserait jamais. 

Oui, vivre le luxe pouvait lui couter la vie. Oui, elle était l'appât pour attirer un psychopathe qui n'hésiterait pas à la tuer pour un enfant qui n'était même pas le sien. Mais on n'en était pas encore là, pensa la jeune femme en brossant lentement ses cheveux devant l'immense glace de la coiffeuse. 

Dehors, on entendait des touristes chanter à tue-tête sous le rythme techno endiablé d'une radio. Le festival de musique s'était invité dans la ville, attirant encore plus de voyageurs que d'habitude. Les plus grands DJs avaient fondu sur Amsterdam comme des vautours sur une carcasse. Ils avaient non seulement dompté toutes les boites de nuits, mais aussi les carrefours et les artères de la ville. 

Ce n'était pas pour rien qu'Amsterdam avait été sacré paradis de la musique électronique. La veille, l'arrivée de David Guetta avait fait des vagues d'enthousiasme dans le pays. Et même si Léonie n'était pas une fanatique de techno, elle devait s'avouer que ça faisait du bien de voir autant de personnes réunies ensemble et danser dans toute la ville sans se soucier de rien d'autre. 

La jeune femme elle-même avait songé à se joindre au groupe en bas de l'immeuble. Mais la détective Nikova avait trouvé cela bien risqué. Ainsi, la doublure d'Ingrid se retrouvait enfermée entre ces quatre murs, alors que la fête faisait rage au dehors.

Lorsque le room-service sonna à la porte en annonçant le dîner, elle déposa sa brosse et alla ouvrir avec un immense sourire aux lèvres. Elle se souvint à quel point elle était affamée. Elle avait eu droit à des délicieux scones aux framboises à l'heure du thé. Mais au lieu de la rassasier, ils n'avaient fait qu'attiser sa famine. Elle ne pouvait pas se mentir, le Smaken lui avait servi les meilleurs plats qu'elle eut goûtés de toute sa vie. Et pourtant, elle venait de loin.

— C'est toi qui m'apporte mon repas ? s'étonna-t-elle en voyant Ramis pousser le chariot métallique à l'intérieur de sa chambre.

— Je comptais dîner avec toi ce soir, si ça ne t'embête pas bien sûr. Ma chambre me semble trop grande quand j'y suis seul.

— Pourquoi ça m'embêterait ? sourit Léonie. Nous sommes jumeaux après tout. Elle le précéda vers la table au balcon ouvert, essayant de faire abstraction de la délicieuse odeur épicée qui avait imprégné toute sa chambre. Que me vaut cet honneur ? Les affaires du Smaken ne nécessitent-ils pas ton attention ?

— Les gens préfèrent danser dans la rue que de manger au calme. Tout en parlant, il jeta un œil en contre-bas. La fête battait toujours son plein, alors que le soleil déclinait de plus en plus à l'horizon. Je n'ai finalement pas pu obtenir une audition d'Amélie Lens pour demain. Elle vient de me répondre. C'est dommage, elle est apparemment l'une des meilleures DJs techno de notre génération.

— Mais c'est pas ça qui te met dans cet état léthargique, si ?

— Dans une semaine, le Smaken organise un grand bal masqué pour célébrer Halloween comme chaque année. Si ça ne te dérange pas, j'aimerais être ton cavalier.

— Je croyais que tu aimerais y aller avec cet employé, (elle fit mine de réfléchir, sa cuillère suspendue en l'air) Comment il s'appelle, déjà ?

— Qui, Kalen ?

— J'ai bien remarqué ce petit truc entre vous. J'avoue que je suis curieuse de voir où ça va aboutir. 

LIENS PARTAGÉS (WATTYS2020)Où les histoires vivent. Découvrez maintenant