10 PULSION

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Kalen n'arrivait pas à se concentrer. Il n'aurait jamais cru que ce serait si dur de fouetter des blancs d'œuf dans un saladier. Son regard surveillait la crème de citron qui s'épaississait au feu. À la première sonnerie du minuteur, il éteignit le réchaud électrique et ajouta les feuilles de gélatine et les petits morceaux de beurre. Il versa le mélange dans un mixeur et laissa l'appareil combiner la composition en un sourd bourdonnement.

Et la prochaine étape...c'était quoi la prochaine étape, déjà ? Il ne s'en souvenait plus. Bon sang, que c'était difficile de se concentrer quand il savait Ramis à proximité. Kalen peinait à s'imaginer que le chef se trouvait deux étages au-dessus de sa tête, les yeux probablement rivés sur lui à travers les caméras de surveillance.

Tout comme les autres employés, Kalen avait le droit de venir s'entraîner le week-end au Smaken avant l'ouverture du service petit-déjeuner. Il avait donc choisi de mettre son dimanche matin à profit, reprenant la recette de sacristain au citron que le chef avait jugé catastrophique la première fois. Parviendrait-il à les lui faire goûter cette fois ? Il l'espérait vivement. Il se gratta le coude en essayant de se souvenir de l'étape suivante.

— Fabriquer la pâte en la détrempant, se souvint-il à haute voix. Il s'activa alors, sans toutefois pouvoir détacher ses pensées du chef Ramis Winchester.

Il repensa à ce qui s'était passé la veille entre eux. Cette virée en moto était tout simplement magique. Il n'arrivait pas à se sortir ce moment de la tête. Quand Ramis l'avait ramené après qu'ils eurent de près échappé au control de la police, il avait tellement eu envie que son patron l'embrasse. 

Mais ce n'était pas arrivé, au grand désarroi de Kalen. C'était néanmoins de toute façon mieux ainsi, opina-t-il. Il devait se concentrer sur Matteo. Il faisait tout ça pour son fils et personne ne devait l'éloigner de son objectif.

— Tu n'homogénéises pas bien ta pâte.

Kalen sursauta violemment, et le saladier coincé en-dessous de son bras tomba et se brisa sur le sol carrelé.

— Oh non, se morfondit le commis de cuisine en évitant de regarder le chef dans les yeux.

Il se précipita vers le placard et s'empara d'un balai. Lorsqu'il passa devant le chef cuisinier, l'odeur de ce dernier le frappa avec la puissance d'un tsunami. Bon sang, comment faisait-il pour sentir aussi bon au réveil ? 

Bois de santal et romarin, la même odeur que quand il cuisinait. La même odeur que quand il conduisait. Cette odeur le rendait complètement dingue. Au prix d'un effort surhumain, il se retint de ne pas bondir pour humer encore plus le cou nacré de son chef.

— De toute façon, continua ce dernier en se rapprochant du plan de travail, celle-là était bonne à jeter. Tu n'avais ni la bonne fréquence, ni la bonne méthode. Laisse-moi te montrer comment tu dois t'y prendre.

Il retroussa les manches de son tricot de cachemire blanc, et Kalen resta scotché pendant un long moment sur le tatouage de moto que Ramis Winchester avait sur l'avant-bras gauche. C'était la première fois qu'il le voyait. En y regardant de plus près, il remarqua que c'était une représentation de la Ducati bleue et grise avec laquelle ils avaient fait une virée la veille. 

Ramis s'approcha du plan de travail et commença à recomposer les ingrédients pour les sacristains. Kalen suivait ses faits et gestes avec un respect indubitable. Son patron était si méticuleux. Il n'avait jamais vu ça. Aucun geste saccadé, aucun mouvement superflu. Juste l'essentiel. Une fois qu'il eut ajouté la dernière pincée de sel, il se recula et présenta le saladier à Kalen d'un geste de main. 

Il déglutit en s'approchant du plan de travail. Tout d'un coup, il n'avait plus tant envie de prouver ses qualités culinaires au chef. Ramis le battait déjà à plate couture. Près de lui, il se sentait tellement gauche qu'il craignait de briser le second saladier. Il s'en empara et ramassa le fouet électrique.

— Souviens-toi, critiqua Ramis, pour avoir du travail bien fait, fait le par toi-même.

Tout en parlant, Ramis prit le fouet électrique de la main de son employé. Son auriculaire frôla la peau de ce dernier et celui-ci sentit sa respiration se couper d'un coup. Il eut soudain une forte envie d'uriner. Tout tremblant, il s'empara du fouet manuel et coinça précautionneusement le saladier sous son aisselle.

— Et maintenant, reprit Ramis en se positionnant derrière Kalen, suis mon rythme.

Lentement, il posa sa main droite sur celle de son employé pour guider le fouet. L'autre main trouva sa place sous le saladier transparent, juste au niveau de la hanche du brun. Il sentit son cœur s'évaporer, en même temps qu'un soupir silencieux s'échappait de sa gorge nouée. 

Lentement, la main froide du patron s'enserra sur la sienne brûlante, et Ramis commença à guider le fouet manuel dans la pâte dense. Kalen n'avait plus conscience de rien, à part du corps de son patron appuyé contre son dos et ses bras autour de lui. Une main sur la sienne et l'autre près de sa hanche. Il sentait la chaleur de son visage près du sien, de telle sorte que s'il se tournait vers sa gauche, leurs lèvres se seraient inéluctablement rencontrées...

Huile de santal et romarin.

— Voilà, l'encouragea Ramis en un soupir, tu commences à maitriser...juste comme ça, parfait...

Et il lâcha Kalen. Le cuisinier crut mourir d'hypothermie lorsque le blond s'éloigna de lui. Il eut l'impression qu'on venait de lui arracher une partie de son âme. Il se retourna vivement vers son patron, qui sortait déjà de la cuisine.

— Mais...

— Une question ? demanda le chef Winchester en se retournant à demi vers le brun.

— Non, je...je voulais juste vous remercier...

— De rien, Kalen, sourit Ramis. Un sourire qui fit chavirer le cœur de Kalen. Et quand il vit Ramis prêt à disparaitre par la porte de la cuisine, il ne put se retenir davantage.

— Embrassez-moi...

LIENS PARTAGÉS (WATTYS2020)Où les histoires vivent. Découvrez maintenant