25 HOSPITALISATION (SUITE)

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Et il raccrocha sans que le chef puisse en placer une. Ce dernier se leva et ajusta son pantalon de nuit noir. Il voulut enfiler un tricot, mais se résigna à aller en chercher un dans son dressing. Il devait se passer quelque chose de singulier pour que Kalen se pointe au restaurant en plein milieu de la nuit. Il était deux heures six. Il descendit les marches en se frottant les yeux et arriva devant la porte d'entrée vitrée, derrière laquelle se tenait le commis de cuisine.

— Je peux savoir ce que tu fais ici ? le questionna-t-il, alors que Kalen s'introduisait dans le bâtiment. Qu'y a-t-il, qu'est ce qui se passe ?

— As-tu déjà été prêt à te sacrifier pour quelqu'un ? lui demanda-t-il à brûle-pourpoint en se grattant la tête, la respiration courte.

— Oui, autrefois...pourquoi ? Qu'est-ce qu'il y...

— Et quel sentiment...quel sentiment t'a poussé à cela ? A vouloir te sacrifier pour quelqu'un ?

— Le seul sentiment qui puisse pousser au sacrifice est l'amour. Et l'ultime preuve d'amour est le sacrifice. Mais pourquoi tu me demandes cela, Kalen ? Si c'est à propos de ce qui s'est passé hier, je...

— Je m'en fous de ce que vous faites entre vous, coupa le brun en s'asseyant à l'une des tables du restaurant, les pieds battant rapidement le sol.

— Tu as pleuré, opina Ramis en s'éloignant. Puis il revint avec une bouteille de sherry et deux verres. Kalen détourna le regard des omoplates saillantes de son chef.

— Je suis à bout, soupira-t-il. Cette nuit, je vais perdre quelqu'un que j'aime.

Ramis acquiesça de compréhension, sans toutefois se douter que son employé parlait de lui. Dehors, on entendit une mobylette vrombir à toute allure, puis s'éloigner. Ramis posa sa main sur celle de Kalen.

— Alors, fait tout ton possible pour l'éviter. Sinon, un jour tu le regretteras. Et quand bien même tu ne réussis pas à sauver cette personne, au moins tu te diras que tu as essayé. Kalen secoua la tête, puis ferma les yeux. Il les rouvrit en même temps que sa bouche.

« C'est moi le kidnappeur que vous recherchez. »

***

— Lala, il faut que tu te reposes un peu.

— Je ne fais que dormir depuis qu'on est arrivé au Pajpi. Fous-moi un peu la paix, Anto.

— Matteo va bien, tonna le docteur en posant une main sur l'épaule de son amie. Toi, en revanche...

— Si Matt allait bien, il ne serait pas dans le coma, maintenant. Si Matt allait bien, il ne serait pas intubé, maintenant. Plus elle parlait et plus sa voix tremblotait. Si Matt allait bien, tu ne serais pas tout le temps en train de surveiller ses constantes vitales. Une larme roula sur sa joue. Anto, si Matt allait putain de bien, bon sang on serait tous à la maison, maintenant ! Alors ne me prends pas pour une idiote. Mon fils est entre la vie et la mort, il ne va pas bien ! Il ne va pas bien...

— Il ne va pas mourir...

— Amen, Jésus-Christ ! grogna Léaina en se levant d'un bond. Tu sais quoi, j'ai soif. Je vais me chercher quelque chose à boire.

— Ou tu as juste besoin de t'éloigner de moi, conjectura le chirurgien d'une voix blessée.

— Je rêve ! s'énerva Léaina. Mon fils est dans le coma, et tu trouves quand même le moyen de ramener cela à toi ?

— J'ai fait naitre cet enfant. Tout seul, dans le brouillard de la nuit. Aucun bistouri sur moi. J'ai coupé le cordon avec un morceau de carrosserie de moto. J'ai pratiqué moi-même les premiers soins sur Matteo. Je suis le premier à l'avoir tenu dans mes bras. Sans moi, il serait déjà mort. Alors, ne fait pas comme si son sort ne m'importe pas.

— Tu as fait ton travail. Je devrais te jeter des fleurs pour ça ?

— Je suis ton ami, Lala ! On est du même côté. Il s'approcha d'elle à pas lents.

— Tu n'es qu'un connard ! Pourquoi tu m'affliges ça, Anto ? Pourquoi tu m'as amené cet enfant ? Pourquoi, Anto ? Je te déteste. Je te déteste pour cette souffrance que tu me fais endurer.

Le docteur referma ses bras autour de la rousse et elle explosa en larmes. Elle pleura comme elle n'avait jamais pleuré de sa vie. « Je te déteste », continuait-elle de psalmodier alors qu'il essayait de la calmer. 

Léaina était sa meilleure amie depuis bientôt deux ans. Ce qu'ils ressentaient l'un pour l'autre était unique. Une amitié comme on en voyait que dans les films et les romans surréalistes. Ils se connaissaient. Il savait qu'elle souffrait, dans son corps et dans son âme. Et il n'avait pas le droit de laisser Matteo mourir. 

Non, pas lui. Pas cet enfant pétant la forme qui jouait avec Florida à longueur de journée. Pas ce gamin adorable qui sentait si bon et ne pleurait presque jamais. Pas le bébé qu'il avait soigné, guéri à plusieurs reprises, mais qui ne donnait jamais l'impression qu'il en avait assez.

Matteo n'en avait pas assez, de la vie. S'il s'en allait, il disparaitrait avec la joie-de-vivre de sa meilleure amie. Et cette joie-de-vivre méritait tous les sacrifices du monde.

Tant qu'il serait là, Matteo ne mourrait pas. Là était sa promesse. 

LIENS PARTAGÉS (WATTYS2020)Où les histoires vivent. Découvrez maintenant