34 DESTINATIONS

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— Nous passons devant le Cordial Hotel, dit Kalen.

— Et vous avez Anto en vue ?

— Il est en mobylette, devant nous.

Ramis appuya sur l'accélérateur, et la moto vrombit. Derrière lui, Kalen n'arrivait plus à garder les yeux ouverts. Le vent en extirpait des larmes. La bécane slalomait entre les voitures à une vitesse fulgurante. Kalen jeta un coup d'œil derrière lui. 

La voiture de Léaina et Hécla était loin derrière eux. Tony ne semblait pas vouloir s'arrêter. Ses poursuivants non plus. Pour une raison qu'ils ignoraient, le chirurgien venait de kidnapper Matteo. S'ils le laissaient filer, ils ne reverraient probablement plus jamais le gamin.

— Ne le perdez pas de vue, siffla Léaina en montant à quatre-vingt-dix kilomètre heure.

— Tu pourrais te prendre une contravention, ma chérie, avertit sa mère.

— On s'en bat les fesses, de la contravention, merde ! Kalen, où en êtes-vous ?

— Il vient de couper par le Dam Square, s'horrifia le brun.

Il regarda avec terreur la moto d'Antonio se propulser vers la place publique, où des dizaines de touristes comblaient leurs soirées devant le palais historique.

— C'est pas vrai, hurla Ramis, il est complètement malade !

— Suivez-le sur le Dam Square.

— Léa, nous risquons de blesser des touristes.

— J'ai dit, suivez-le sur le Dam Square ! Je ne plaisante pas. Vous avez intérêt à ne pas le perdre de vue.

Ramis fonça sur la place publique, alors que les promeneurs affolés se jetaient hors de son passage. Il évita de justesse une femme âgée avant de rejoindre l'autre côté de l'esplanade. 

Antonio avait déjà pris de l'avance. Il se rapprochait de la destination que Kotchenko lui avait indiquée. Il s'en voulait, bien sûr qu'il s'en voulait. Il repensait à ses amis. Kalen...Lala...il les avait trahis. Il leur avait arrachés ce qu'ils avaient de plus cher. Mais il ne le regrettait qu'en partie. Parce que c'était pour sauver ce que lui avait de plus cher.

Le vent était glacial. Kalen le sentait s'engouffrer à travers son fin tricot noir. La motocyclette roulait si vite que le paysage s'était transformé en un amas flou de buildings et de végétation. Soudain, sans crier gare, le ciel explosa en un gigantesque éclair. 

Une forte pluie s'abattit sur Amsterdam. En quelques minutes, les deux hommes en moto furent trempés. La météo était déchainée. Ramis sentait les gouttes de pluie lui marteler la peau tels des cristaux de glace. La visière de son casque était si trempée qu'il ne voyait plus rien.

— On ne peut plus continuer, hurla-t-il à l'adresse de Kalen. Je ne vois plus rien. Le tonnerre gronda.

— Léa, on va garer et prendre un taxi. On ne voit plus rien.

— Ça m'est égal que vous ne voyez rien ! Ne vous arrêtez juste pas. Ne le perdez pas de vue. Je ne plaisante pas, si tu ne veux pas t'attirer ma haine...si tu veux pas que je te déteste, Kalen. Vous êtes à quel niveau ?

— Prins Hendrikkade, répondit son frère, au même moment où le soleil disparaissait sous un amas de nuage noir. Le brouillard fondit sur la ville assombrie. À présent, Ramis conduisait vraiment dans le noir. Il faillit se tamponner à un camion en stationnement.

— Arrête-toi, supplia Kalen, le cœur battant à tout rompre. La moto d'Antonio était devenue un minuscule point lumineux perçant à travers la brume.

— Hors de question ! rugit Léaina.

— Mais enfin, ma fille...

— Si vous vous arrêtez, je vous promets que je vous empale tous les deux sur un réverbère.

Tout en parlant, elle vira abruptement dans une allée tortueuse en pavés rouges brique. De part et d'autre, il y avait des immeubles très rapprochés l'un de l'autre. Si Léaina amorçait ne serait-ce qu'une fausse manœuvre, elle se crasherait sur l'une de ses maisons.

— Nous prenons un raccourci, informa Hécla.

— Nous allons l'intercepter sur Boomklostraat, appuya Léaina. N'arrêtez pas de le suivre.

— Okay, se résigna Kalen.

Et c'est là que l'inévitable se produisit. Un bref éclair illumina la rue déserte. Puis la noirceur revint sur le chemin. Mais ces deux secondes furent suffisantes pour que les deux amants voient qu'ils se dirigeaient droit sur une bouche d'incendie sombre. 

Kalen vécut la scène au ralenti. La moto heurta de plein fouet la borne grise. Le brun fut éjecté du véhicule, qui continua sa course dans un canal rempli d'eau. Il s'envola dans les airs tel un pantin désarticulé, alors qu'une série d'éclairs illuminait le ciel. Un geyser jaillit de la bouche d'incendie, propageant des jets d'eau dans tous les sens. 

Kalen vit Ramis être lui aussi projeté vers l'avant. Il essaya de crier, mais n'arriva même pas à ouvrir la bouche. Il tourna tellement de fois sur lui-même, qu'il ne percevait plus le décor autour de lui. Tout ce qu'il vit, ce fut la moto gratter des étincelles sur le goudron inondé avant de plonger dans l'eau. 

Il vit Ramis s'écraser avec violence contre le goudron, sur lequel il ricocha tel un galet sur plusieurs mètres. Il vit l'une des roues de la moto retomber sur le bras du chef, avant de rouler jusqu'à perte de vue. Puis il finit lui aussi par s'écraser sur le trottoir martelé de pluie dru...

LIENS PARTAGÉS (WATTYS2020)Où les histoires vivent. Découvrez maintenant